Cours de sociolinguistique

Les normes, la norme

Michel Tournier, définissant le "normal" donne les définitions suivantes :

NORMAL
1. Conforme à la norme. Idéal
2. Conforme à la moyenne. Habituelle"

Ceci peut servir d'introduction à qui aborde la question de la norme. C'est bien la un véritable problème car selon les lieux, selon les personnes, selon le domaine, les deux perspectives se mêlent effectivement et perturbent la compréhension.. Peut-on dire que la norme est un idéal, c'est-à-dire de fait quelque chose que personne n'atteint ou n'incarne vraiment ? Peut-on dire que la norme est faite de la moyenne des opinions, ou de la moyenne des comportements ? Nous allons rencontrer ces deux voies comme deux écueils entre lesquels il conviendra de naviguer.

Georges Mounin, lui-même, dans son Dictionnaire de la Linguistique (PUF/Quadriges, rééd. 1993) commence son article "Norme" de la façon suivante :
"Moyenne des divers usages d'une langue à une époque donnée, ou usage imposé comme le plus correct ou le plus prestigieux par une partie de la société (le "bon usage")...

En fait, si le "normal" et le "normatif" restent des concepts très "grand public" qui suscitent des définitions un peu floues, il convient de souligner que la norme du français n'est en aucun cas déterminée en regardant les usages majoritaires. C'est la variété de français qui, à une époque donnée, est prônée par la société française, qui s'impose à chacun mais aussi qui est défendue par chacun : même ceux qui en sont très éloignés, y sont attachés. C'est dans les classes populaires que, tout en pratiquant d'autres variétés, on tient le plus à ce que soit enseignée la norme, que l'on se soucie de savoir ce qui est correct / ce qui ne l'est pas - la "norme" étant plus ou moins assimilée à ce qui permet de réussir, puisque ceux qui ont réussi sont censés pratiquer la norme, en offrir une image ! On devine ainsi que la norme de fait est la variété pratiquée par les hautes couches de la société dans les situations formelles où elles "donnent à voir" leur langue - variété d'ailleurs plus ou moins fantasmée (et par là sans doute rejoint-on la notion d'"idéal"), que personne ne pratique vraiment et qui ainsi apparaît toujours "au-delà" des usages réels. Indéniablement cependant des usages se rapprochent davantage de ce qui est présenté comme la norme (dans les dictionnaires, dans les grammaires...), mais ces ouvrages parce qu'ils sont écrits utilisent et présentent obligatoirement une variété différente de l'oral et contribuent à la dichotomie si souvent formulée par "Monsieur Toutlemonde" : "à l'écrit ça va, ma langue est correcte, mais à l'oral je n'ai pas le temps de réfléchir et je parle mal".

Baylon (1991, pp. 161-162) rappelle que :
"La norme linguistique n'est qu'un aspect de l'ensemble complexe des normes sociales. Elle fonctionne dans une société comme un régulateur du comportement collectif. La mépriser n'entraîne des sanctions que dans l'enseignement, "mais dans des sociétés où des puristes régentent la langue et où l'Etat même légifère, ce qui est le cas en France, les journalistes, les écrivains, les publicistes, etc. risquent également d'être blâmés, s'ils commettent des infractions" (Bodo Muller, Le français d'aujourd'hui, p. 264). De fait, on subit les conséquences de toute atteinte à la norme linguistique en s'exposant en général à une communication plus difficile, à des commentaires critiques, à un déclassement social, à une disqualification (par exemple, quand on manque de compétence dans une langue technique ou que l'on fait des fautes en rédigeant une demande d'emploi). Elément déterminant le comportement social, lequel évolue, la norme linguistique est soumise au changement, même si elle paraît identique pendant plusieurs générations ou que le locuteur la perçoit dans une sorte d'intemporalité. Elle est donc toujours liée à une époque historique."

Dans ces conditions on soulignera que,

La norme est donc bien une question qui relève fondamentalement de la sociolinguistique : déterminée, fixée à chaque époque sur des critères socio-économiques, elle se transmet dans l'enseignement et donc apparaît comme beaucoup plus "permanente" que les autres variétés non formalisées qui ne se transmettent que familialement (acquisition non formelle). L'école joue ainsi un rôle essentiel dans la transmission, la permanence, le statut, les prérogatives accordées à la norme. C'est elle qui peut la répandre de façon quasiment universelle dans un pays. Sa non-transmission - cf. le discrédit de l'école pour toute transmission ou la moindre importance accordée à la "langue correcte" à notre époque - ont pour premier résultat que les couches sociales les plus éloignées de la norme n'y accèdent plus. La "norme" ne disparaît pas pour autant, mais elle est alors surtout l'objet de transmission familiale dans les familles conscientes et capables d'en assurer la transmission indépendamment de l'école. L'école en enseignant la norme était facteur de démocratisation de la société française ; si elle renonce à cette tâche, on parvient à une société aristocratique dans laquelle "certains savent sans avoir appris" (selon l'expression consacrée) et où il n'y a plus de chance de véritable mobilité sociale. Contrairement à nos a prioris on peut voir ainsi que la norme est "démocratique" quand, "idéal" proposé à tous, elle est accompagnée dans son apprentissage de la transmission des principes qui permettent de l'atteindre. Dire (comme cela se pratiquait à l'université à Lyon dans les années soixante) "il ne faut pas dire un "[fløv] (pour "fleuve"), une [føj] (pour "feuille"), c'est donner à tous une chance d'accéder à des situations où l'on ne tolère pas un accent régional marqué ; ne plus le dire, c'est laisser encore les plus hautes positions à ceux qui l'auront compris tout seuls (dans leur famille) et bien sûr éliminer ceux qui ne se doutent même pas que ce genre de prononciation est stigmatisée !
On pourra distinguer avec Marie-Louise Moreau (1997), article "Les types de normes" :

On pourra se reporter aussi sur le web à :

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