Cours de sociolinguistique

L'enquête sociolinguistique

La sociolinguistique est largement un domaine de recherche. D'où l'importance de l'enquête pour avancer dans une science humaine qui comporte beaucoup de données "expérimentales". En sociolinguistique on procède par questionnaires et par entretiens (libres ou semi-libres) - les deux devant être soigneusement distingués : visées et méthodes différentes.

Seront très utiles pour comprendre mieux les deux techniques, qui ne sont pas nécessairement exclusives l'une de l'autre, et peuvent souvent se compléter, les deux petits ouvrages d'Alain Blanchet : L'enquête et ses méthodes : l'entretien, L'enquête et ses méthodes : le questionnaire.

L'ouvrage de Jean-Claude Kaufmann, L'entretien compréhensif, bien que destiné au départ plutôt à des sociologues qu'à des sociolinguistes, pourra être très utile pour une réflexion approfondie sur les problèmes rencontrés dans l'enquête, du fait de l'implication inéluctable de l'enquêteur (son comportement, ses relations avec l'informateur, etc. constituent des paramètres à prendre en compte avec la plus grande rigueur).

Plus globablement pour s'initier à l'enquête sociolinguistique et à ses techniques,l'ouvrage préparé sous la direction de Louis-Jean Calvet et Pierre Dumont, L'enquête sociolinguistique, L'Harmattan, 1999, sera très utile.

Le but de toute enquête est bien sûr de recueillir des données pour les analyser. Quand l'enquête est finie... c'est là que commence le travail minutieux de découpages, de classements, d'interprétation... Ignorer cela, c'est faire de l'enquête une fin en soi, en accumulant des corpus qui peuvent se révéler ensuite inutilisables, car dans les conditions de recueil, dans les choix méthodologiques sont déjà en quelque sorte prévus les résultats que l'on pourra obtenir. C'est pourquoi les choix faits au départ de procéder par entretiens, par questionnaires, l'observation jamais simple d'une "réalité linguistique" traversée par la variation, doivent être mûrement réfléchis. Les visées de ces différentes techniques sont différentes, et l'on n'obtient pas les mêmes résultats, parce qu'on n'a pas visé les mêmes données. Toutes les techniques se révèlent utiles, et peuvent/doivent être utilisées dès lors qu'il s'agit de décrire un peu complètement une communauté linguistique et ses parlers.

Parmi les "méthodes", rappelons que l'observation - qui se fait selon des principes méthodiques, si elle n'est pas précisément une "méthode - est partout : avant l'enquête proprement dite bien sûr, pour découvrir son terrain, les locuteurs que l'on va interroger,leurs modes de vie, leurs habitudes quotidiennes, leurs centres d'intérêt, leurs ressemblances et leurs différences... Mais, pendant l'enquête proprement dite, l'observation continue : c'est ce qui implique bien sûr la possibilité d'être au maximum déchargé de tâches qui nuiraient à l'observation complète : enregistrement intégrales des données auditives, pour ne pas avoir à prendre de notes sur les propos mêmes de l'informateur, travail simultané de quelques enquêteurs, dont l'un est plus directement chargé d'observer l'interaction et de noter les données qui pourraient échapper à l'enquêteur engagé dans le processus de communication avec l'informateur : gestes, mimiques, hésitations, malaises, interruptions extérieures, présence de nouveaux personnages, etc.). Au-delà du temps d'enquête l'observation pourra continuer, car comme toute interaction, on n'oubliera pas que l'enquête modifie les interlocuteurs, le regard et l'intervention de l'enquêteur transforment la "société" observée, et bien sûr tout particulièrement les informateurs. Les conséquences de l'enquête devront donc le cas échéant être soigneusement notées (ceci est particulièrement significatif pour toutes les enquêtes d'opinion, enquêtes sur les comportements, les attitudes, etc.).

On s'efforcera surtout en matière d'observation d'avoir le "regard neuf", c'est-à-dire d'essayer de ne pas laisser interférer ses propres conceptions, ses propres habitudes de pensées, ses propres catégories avec celles de l'informateur. On se dégagera bien sûr de l'attitude si fréquente, qui consiste à "juger" (positivement ou négativement) l'informateur et son groupe d'appartenance. C'est bien sûr là souvent le point le plus délicat pour l'enquêteur débutant qui n'est pas conscient de ce qu'il laisse transparaître de ses propres conceptions, de ses idées préconçues dans son attitude, mais même aussi dans son questionnaire ! L'enquête n'est pas un reportage plaisant, et l'enquêteur n'est pas un journaliste cherchant à séduire au final un public extérieur et complaisant. On invitera toujours comme préalable à toute enquête véritable à établir et faire passer des enquêtes d'entraînement, soigneusement enregistrées, observées par un autre enquêteur, puis ensuite analysées et décryptées pour pister les parasitages tenant au comportement de l'enquêteur (interventions trop nombreuses et orientées, questions qui inhibent, dirigent ou sélectionnent les réponses, etc.) qu'il conviendra de revoir et critiquer avec lui.

On trouve sur le web une présentation excellente des questions posées par l'enquête sociolinguistique, avec un exemple modèle concernant la phonologie du français contemporain. En se dégageant quand ce sera nécessaire du modèle exact ou en l'adaptant à l'objet de l'enquête, on retiendra très soigneusement les conseils donnés dans le protocole. Les procédures seront très utiles, et même les documents proposés après adaptation.

On ne manquera pas non plus de se référer à l'excellent article de Françoise Gadet, accessible en ligne : "Problèmes méthodologiques du recueil des données".


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