Sous ce titre, on fait allusion aux théories de Bernstein.
La lecture de Langage et classes sociales est recommandée. On en trouvera un un bon résumé par P.-M. Chauvin et G. Truc sur le site de l'ENS Cachan.
Bernstein aime à citer Sapir qui déclarait que "le monde réel est dans une grande mesure une construction fondée - de façon inconsciente - sur les habitudes linguistiques du groupe" (p. 124), on peut retrouver ainsi directement ou indirectement dans son oeuvre l'influence des anthropologues américains Boas, Sapir et Whorf. Ces deux derniers étaient à l’origine de ce que l’on a appelé le "principe de relativité linguistique". Ils affirmaient le déterminisme de la langue sur la pensée, la langue modelant en quelque sorte notre vision du monde. Bernstein, précisément, transpose cette "hypothèse Sapir-Whorf" des différences entre cultures aux différences entre classes sociales.
Bernstein dénonce l'oubli si fréquent du langage dans les sciences sociales ; il s'élève aussi contre l'idée qu'il y a des "différences naturelles" entre enfants, et va ainsi s'attacher profondément à étudier les différences de réussite à l’école pour souligner qu’elles relèvent de l’inadéquation entre les significations universalistes, "exprimées de manière explicite et conventionnelle par le langage" (p. 134), qui sont délivrées et exigées à l’école, et les significations particularistes que l’enfant amène avec lui ; ces diférences de réussites ne tiennent don pas à la possession d’un don et de qualités "naturelles". L'enfant est "conditionné" par son milieu d'origine, son milieu éducatif, et Bernstein va s'attacher à étudier les déterminants sociaux qui peuvent expliquer les différences scolaires.
A travers études expérimentales et enquêtes, Bernstein va essayer d'établir les modes de constitution des catégories à travers ce qui est inculqué par la famille. Il s'efforce de se défendre face aux reproches vigoureux qu'on lui a fait : il explicite ses méthodes, et démontre l'existence de ce qu'il appelle code élaboré et code restreint. Soulignant que ces "codes" sont des qualités de la structure sociale, il montre qu'ils se différencient à trois niveaux :
Chez Bernstein, on trouve une "théorie de la reproduction sociale", avant ce qui apparaîtra chez Bourdieu :
Il sera vigoureusement attaqué par Labov, mais aussi par Bourdieu. On lui reprochera ce qu'on appelle sa "théorie du handicap", alors que Bernstein ne fait que répéter qu'il n'y a pas de déficit de l'enfant issu des classes populaires mais que c'est parce que le seul code légitime aux yeux de l’institution scolaire est le code élaboré, que le code restreint est discrédité, considéré comme handicap ou "manque" par rapport au code élaboré - ceci aux dépens des enfants qui n’ont acquis au cours de leur socialisation linguistique que le code restreint, pourtant "fondamental". Ce sont les éducateurs et notamment leur regard porté sur les enfants qui doivent être réformés. Lorsqu'il souligne qu’un enfant de classe populaire tend à user majoritairement d’un code restreint, cela ne signifie pas qu'il ne peut recourir à des variantes élaborées, mais que les situations sociales dans lesquelles ce recours est possible sont plus rares pour lui que pour un enfant des classes supérieures.
Ainsi "Bernstein, comme après lui Bourdieu, aboutit à une théorie de la reproduction sociale à partir d’une approche singulière de la socialisation. Il développe une théorie des rôles sociaux et de l’apprentissage issus de la socialisation familiale. " (article cité de Chauvin et Truc)
"Les avantages vont aux avantagés, renforçant ainsi leurs avantages, tandis que ceux qui sont définis socialement comme inférieurs reçoivent moins, ce qui accroît leur infériorité" (Bernstein, p. 203)
Les auteurs soulignent encore : "L’école aurait un rôle prépondérant dans ce processus cumulatif, dans la mesure où "les institutions scolaires dans une société fluide comportent des tendances aliénantes" (p. 143). Il existe bien une affinité élective entre la hiérarchie sociale et la hiérarchie symbolique que le système scolaire présuppose et alimente. En effet l’enseignement crée le besoin de ses propres services par l’élaboration permanente des normes linguistiques, mais, ce faisant, construit "des canaux d’orientation subtils, manifestes ou cachés, qui restreignent nettement les attentes et les motivations, tant chez les enseignants que chez les enseignés" (p. 252).
Finalement Chauvin et Truc concluent :
"Ni sociologisme fataliste, ni volontarisme utopique, le travail de Bernstein se veut avant tout pragmatique,
à même de contribuer à un réformisme des institutions scolaires et, tout particulièrement, de la formation
des enseignants. "Pour que la culture du maître devienne partie intégrante du monde de l’enfant, il faut
d’abord que le culture de l’enfant soit partie intégrante du monde du maître. Peut-être faudrait-il, pour cela,
que le maître comprenne le parler de l’enfant plutôt que d’essayer décisoirement de la changer." (p. 260)
ATTENTION :
On trouvera quelques extraits de Bernstein à étudier et commenter dans le diaporama déjà évoqué.
On veillera à ne pas confondre "code restreint" et "code oral" et "code élaboré" et "code écrit" - même si l'écrit permet une manifestation plus favorable du code élaboré. Il existe par exemple des "presses écrites" différentes : une certaine presse écrite cultive plus largement le code restreint, ce qui lui permet d'être aisément décodée par le lecteur, et d'être ainsi accessible au plus grand nombre.
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