Cours de sociolinguistique

Introduction : l'objet de la sociolinguistique (2)

Les langues parlées par un trop petit nombre de locuteurs finissent généralement par disparaître, "phagocytées" par des langues plus fortes, jouissant d'un certain dynamisme de développement en raison du nombre de leurs locuteurs et surtout de leur statut et de leur prestige. On étudie ce que l'on appelle la "mort des langues" ou "l'attrition linguistique", aussi bien


Pour aller plus loin sur la mort des langues (cours de l'Université Laval)


C'est ainsi qu'il y a des langues dominantes et des langues dominées. L'une des situations caractéristiques de ces rapports est la situation de diglossie, où se trouvent utilisées selon des rapports inégalitaires, en fonction de la situation de discours, deux langues dont l'une, appelée par Ferguson langue "haute" (H pour haut ou high) est utilisée pour les échanges formels et notamment pour la plus part des productions écrites, l'autre, appelée langue "basse" (B ou L pour low en anglias) se voit coantonnée dans les rôles de communication non formels, familiers, affectifs, spontanés, assez largement oraux.

Comme nous le verrons, les situations de diglossie connaissent de nombreuses variantes et peuvent évoluer notamment quand, dans le cadre d'un aménagement linguistique et d'une politique linguistique bien affirmés, en entreprend de développer la langue statutairement la plus faible. C'est ainsi que des situations de diglossie peuvent évoluer vers le bilinguisme, situation où chaque langue peut être utilisée dans toutes les circonstances, pour tout dire, et jouit en principe d'un prestige équivalent. D'autres cas de diglossie aboutissent à la disparition de l'une des langues : souvent la langue B, au profit de la langue déjà dotée d'un système graphique, qui bénéficie d'une reconnaissance et d'un prestige non contestés, en raison par exemple de sa riche tradition littéraire ; parfois c'est la langue H qui s'éteint car à force de protection, on l'a trop consacrée dans certains usages et sous des formes qui n'évoluent plus : coupée de plus en plus des usages quotidiens réels de la population, elle finit par être un instrument réservé à une élite pour certaines situations hautement formalisées. En l'absence d'innovation et de capacité créative, cette langue finit par céder la place à/aux langue(s) parlée(s) par le peuple - langues vivantes et constamment renouvelées par des créations et des développements propres à en favoriser l'usage en toute circonstance. C'est le cas du latin qui a laissé la place aux langues romanes, de la khatarevousa en grec qui a été remplacée par le demotiki.

Un petit diaporama sur "bilinguisme et diglossie" pour aller plus loin.

On parle souvent de patois pour désigner des langues d'usage essentiellement orales, souvent pratiquées exclusivement dans le monde rural (vite abandonnées et oubliées par ceux qui s'installent en ville au cours de l'"exode rural" au XIXe et XXe siècles), et dès lors parlées surtout par les membres les plus âgés d'une communauté linguistique. De ce fait quand on souligne que ces langues sont en train de mourir, cela veut dire que leurs locuteurs, de plus en plus âgés, disparaissent progressivement. Les "patois traditionnels" sont effectivement en voie de disparition en France. On évitera de recourir à ce terme de "patois", totalement ambigü, et fortement connoté de valeurs dépréciatives et négatives. On préfèrera pour les langues qui auraient plus ou moins des caractéristiques de ce type (petit nombre de locuteurs, surtout âgés, pas ou peu de tradition d'écriture, difficulté de développement dans un contexte croissant de marginalisation géographique, sociale ou économique...) parler de "langues en situation patoisante". Nombreuses sont les langues qui, à un moment ou à un autre de leur histoire, peuvent connaître ces situations qui ne sont donc pas réservées à celles qu'on a pris l'habitude d'appeler "patois" en France (provençal, normand, savoyard, picard, etc.) quand, avec la Révolution française, on a entrepris de répandre le français partout (cf. politique linguistique du français), et donc d'"éradiquer les diverses langues parlées, considérés comme symboles d'obscurantisme et d'ignorance. Ainsi, certains créoles dans le monde sont en situation patoisante (par exemple le créole louisianais), et le français lui-même (aux Etats-Unis, dans certaines régions, comme le Missouri, langue native de groupes de population) peut se trouver en situation patoisante. Aucune langue n'est a priori à l'abri d'une dévalorisation, notamment dans les contextes d'occupation (avec un superstrat qui s'impose), de diglossie, ou tout autres situations où une langue tend à l'emporter au détriment d'autres.

Dans le monde contemporain, avec la mondialisation, la faveur accordée à quelques "grandes langues", de très nombreuses langues sont menacées de disparition. Le processus commence souvent par une forte dévalorisation, liée à leur confinement dans des usages restreints considérés comme non nobles. Les plus jeunes, pour leur réussite sociale, tentent d'acquérir parfaitement un autre idiome, qu'ils finissent par utiliser à l'exclusion presque totale de leur langue maternelle. Dès lors, cela peut aller très vite : mépris de ceux qui ne parlent que la langue vernaculaire, cantonné en outre dans des tâches socio-économiques peu valorisées, nécessité pour connaître une promotion sociale d'acquérir la langue et la culture des groupes dominants, perte de vitalité de la langue familiale qui ne se développe plus, qui finit même par n'être plus fonctionnelle pour les usages quotidiens (transformés en outre par une "nouvelle économie"), et qui en deux générations peut alors disparaître complètement.

On attribue l'origine du mot patois généralement à un verbe de l'ancien français "patoier" qui signifiait "agiter les mains, gesticuler" puis "se comporter, manigancer", - verbe dérivé de "patte" au moyen du suffixe "-oyer" "Patois" serait un déverbal de cette forme. Cette étymologie permet de comprendre en partie sans doute la connotation péjorative de ce terme. Il faut cependant tenir compte aussi du statut de langues minorées, dévalorisées des "patois" puisqu'il s'agit toujours de langues en train de mourir en raison de l'âge des locuteurs, et qui ne peuvent donc plus "tout dire" (en particulier, comme elles ne se développent plus, elles se révèlent vite incapables de parler de réalités modernes, urbaines, techniques...) : les plus jeunes de la communauté linguistique, notamment en raison de la scolarisation (obligatoire de puis plus d'un siècle, et de plus en plus étendue dans le temps - jusqu'à 16 ans au minimum maintenant) utilisent de plus en plus exclusivement la langue haute : le français par exemple, langue nationale et officielle en France.

La notion de "langue régionale" - concept nouveau - est définie principalement par la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Cette charte tend à organiser la défense des langues menacées en Europe. Mais la question est très complexe, et il conviendra de revenir plus longuement là-dessus.


Il n'y a pas de langue plus mauvaise qu'une autre... Mais il y a des situations dépréciées et dévalorisées dans toutes sociétés, et il y a des sociétés considérées comme "inférieures" ! Les langues utilisées dans ces situations ou ces sociétés en subissent les effets et sont à leur tour dépréciées, tandis que les langues pratiquées dans situations hautement valorisées et par des personnes enviées socialement sont survalorisées et considérées comme des langues plus belles, plus valables, plus riches que les autres. Ces appréciations sont bien sûr purement subjectives. Il n'y a pas de langues pauvres et de langues riches mais des langues adaptées à leurs situations d'usage. Il est vrai que dans le monde ces situations sociolinguistiques sont extrêmement variées, en raison des modes de vies, des formes sociales, des rapports humains, des données culturelles, etc.

Selon les critères appréciées dans nos sociétés occidentales, on a tendance à considérer comme noble d'écrire de la poésie ou de faire un cours à l'université, ou encore de rédiger des textes de lois, etc.. et on considère comme occupations médiocres la conversation avec ses proches, les échanges nécessités par la vie quotidienne, ou la littérature orale. Ce sont bien entendu des a-priori concernant les rôles et activités dans une société, mais cela ne tient absolument pas aux systèmes linguistiques eux-mêmes qui savent s'adapter, se développer en fonction des besoins d'une société (c'est d'ailleurs pour cela que les langues évoluent au fil des siècles). Les vocabulaires, certes ne sont pas immédiatement identiques, selon que tel groupe humain vit au milieu des neiges éternelles ou dans le Maghreb, selon que l'on pratique le ski ou l'agriculture ou la pêche... Tout simplement, des variations, à l'intérieur d'une même langue, se manifestent selon que l'on vit en ville ou à la campagne, que l'on appartient aux classes actives ou que l'on est retraité, que l'on voyage ou que l'on est sédentaire, etc. Mais le vocabulaire n'est d'ailleurs qu'un des aspects de chaque langue ou de chaque variété : quand manquent des mots on peut toujours utiliser des périphrases. L'identité d'une langue, ses caractéristiques essentielles tiennent à ses modes de fonctionnement, à sa grammaire, à son organisation.

Sans doute y a-t-il des différences de perceptions plus ou moins conditionnées par la langue, mais cela n'empêche pas totalement de se comprendre, et la traduction, plus ou moins aisée, permet de découvrir d'autres mondes, d'autres cultures, pour peu que l'on ait vraiment le désir de communiquer et de s'ouvrir à l'autre.


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