Littérature orale, littérature écrite

Historiquement ce que l'on appelle la "littérature orale" se développe avant toute littérature écrite. C'est le cas aux Antilles, et dans tout le monde créole, où l'on a pu déjà depuis longtemps recueillir, parfois enregistrer sur support magnétique, toujours publier (avec d'ailleurs bien sûr les risques de figement que cela comporte) des éléments de ce que l'on peut considérer précisément comme des textes relevant des genres oraux traditionnels : des contes, des proverbes, des petites chansons ou comptines, des devinettes, etc.

Ainsi, la littérature orale devient "écrite" ou du moins est transcrite - ce qui peut sembler contradictoire. Effectivement, figée sur la feuille de papier, dans le livre, les genres les plus oraux perdent certaines de leurs caractéristiques : le caractère très largement improvisé et renouvelé des productions, leurs rythmes et leurs mélodies, la présence d'un public, qui joue son rôle dans la profération, etc.

Pourtant, si lon peut regreter le figement de ces formes dans l'un des états qui fut le leur, il faut bien s'y résoudre si l'on souhaite "conserver" des formes pour le moins mouvantes et largement susceptibles de disparaître : les versions des contes disparaissent en partie avec les conteurs qui les ont produites, les proverbes ne demeurent que tant qu'il y a une transmission familiale - qui tend à s'éteindre dans un monde où les veillées, les moments de communication entre générations sont de plus en plus remplacés par la télévision... Enregistrer, avec souci de ne pas trahir, retranscrire, diffuser ces formes de l'oral est une tâche à laquelle doivent s'attacher le linguiste et l'anthropologue...

La littérature écrite, qui existe aussi aux Antilles, n'a pas toujours été marquée par la littérature orale : tout au long de l'histoire des littératures antillaises, la littérature francophone (écrite en français) a été très souvent davantage marquée par les modèles français et les auteurs se sont efforcés, éventuellement en intégrant des thématiques en lien avec leur environnement culturel et parfois même du vocabulaire régional, de suivre les modèles "nobles" qui leur sont proposés : romans, poèmes écrits en conformité avec des modèles illustres... Certains romans du XIXe siècle antillais, certains poèmes, de facture parnassienne, n'ont rien de très spécifiquement antillais.

Pourtant, dans une certaine mesure, on peut souligner aussi que la littérature orale, ses rythmes propres, ses genres spécifiques ont aussi inspiré une littérature écrite des Antilles : on pense à certains poèmes en forme de comptines (cf. Hector Poullet, Monchoachi), à toute une littérature inspirée des contes créoles (on citera Simone Schwarz-Bart et son Ti-Jean l'horizon, Sylviane Telchid avec Ti-Chika et autres contes, Térèz Léotin avec Lèspri lanmè. Le génie de la mer, ou même Patrick Chamoiseau avec son Maman Dlo contre la fée Carabosse, etc.) mais aussi des recueils modernes de contes qui s'ils sont inventés par les auteurs, n'en sont pas moins marqués par les genres et les thématiques traditionnels.

Echappant à la tradition orale la plus classique, mais se la réappropriant en quelque sorte dans les rythmes retenus, dans les faits culturels réexploités (magie, religion, etc.), toute une nouvelle littérature contemporaine atteste de l'importance de l'oralité créole : on pense par exemple aux élaborations très savantes de Dezafi de Franketienne, à la poésie proférée par des poètes comme Joby Bernabé (qui n'écrit qu'avec répugnance ses oeuvres, mais les livre au cours de spectacles complets où se mêlent lumière, musique, production orale...).

La littérature écrite n'a pas fini de faire parler d'elle aux Antilles, et les marques de l'oralité, y compris dans les romans les plus élaborés et les plus écrits (on pense à la façon dont P. Chamoiseau s'efforce de rendre l'oral à l'écrit) sont nombreuses et diverses et mériteraient d'être analysées et confrontées à des travaux plus complets sur la littérature orale.

A voir : un article-bilan pour la littérature haïtienne de Jean Jonassaint, "Des conflits langagiers dans quelques romans haïtiens".