L'écriture du créole

Le créole de Guadeloupe (et c'est le cas de la plupart des autres créoles) étant une langue essentiellement orale, n'a pas d'orthographe fixée. Les auteurs adoptent le plus souvent leur propre système de notation ; depuis les années 1970, on peut effectivement parler pour certains d'entre eux de " système " car ils veillent à une certaine cohérence, à respecter certaines règles qu'ils se fixent.

Le Groupe d'Etudes et de Recherches en Espace Créolophone (GEREC), avec Jean Bernabé, a proposé un système orthographique dans les années 1977-1980 (cf. revue Mofwaz), qu'il a repris dans sa thèse (cf. J. Bernabé, 1983), très proche d'une simple transcription phonétique. Même si, comme nous aurons l'occasion de le montrer, un tel système ne peut manquer de poser des problèmes communicatifs, il est maintenant très utilisé dans les Petites Antilles.

Marie-Christine Hazaël-Massieux, en 1987, puis surtout en 1993 dans Ecrire en créole (L'Harmattan) a proposé une étude des principaux problèmes rencontrés lors du passage à l'écriture pour une langue essentiellement orale et proposé un système de notation qui intègre des données morphologiques ou lexicales très utiles pour favoriser la communication écrite dans toutes les Petites Antilles.

On peut ainsi résumer quelques-uns des problèmes rencontrés lors de l'élaboration d'un système orthographique pour une langue :

Comment écrire le créole


Position du problème

Dans les mondes créoles, bien des locuteurs contestent encore l'idée d'un créole écrit, imaginant sans doute un peu rapidement qu'une langue est écrite ou orale. En fait, si à une époque donnée de l'histoire il y a des langues orales et des langues écrites, les statuts des langues changent et une langue qui n'était qu'orale (cf. le francien et tous les dialectes de la Romania au Moyen-Age, alors que l'on communiquait à l'écrit en latin), peut progressivement accéder à l'écriture (cf. le français, l'espagnol, l'italien....), tandis que d'autres demeurent essentiellement orales (cf. le provençal en France) tout en évoluant. Ces langues orales peuvent connaître d'ailleurs des tentatives d'écriture diverses, mais qui ne suffisent pas toujours à en faire véritablement des langues écrites, utilisées dans toutes les fonctions qui sont celles de certaines langues nationales : autrement dit, l'accès d'une langue à l'écriture, son utilisation dans des fonctions multiples, son statut (de langue nationale, langue officielle, etc.) sont toujours la conséquence d'une politique linguistique et bien sûr de la volonté des locuteurs eux-mêmes.

La situation des créoles : l'existence de transcriptions

Pour les créoles français à l'heure actuelle, on dispose bien sûr de nombreuses tentatives d'écriture, en toute zone, qui sont essentiellement des "transcriptions", plus ou moins phonologiques et phonétiques (Haïti étant le seul pays où une orthographe a été fixée par décret en 1979 - mais tous les auteurs ne respectent pas cette orthographe, contestée encore sur un certain nombre de points), et non pas à proprement parler des "orthographes" car aucun "standard" n'est arrêté, aussi bien quant à la variété retenue (parmi les diverses variétés parlées dans les différents pays ou départements français créolophones) que quant aux principes de notations.

Il est évident que la transcription du créole ne pose aucun problème technique : comme toutes les langues, le créole peut être transcrit, en recourant par exemple à l'Alphabet Phonétique International (API) et en respectant les principes fixés par les fondateurs d'un tel système de notation : un son = un signe, c'est-à-dire qu'à chaque son du créole correspond un symbole graphique et un seul. Au lieu par exemple, comme en français de noter le son [o] tantôt par "o", tantôt par "au", tantôt par "eau", tantôt par "aux", etc., si l'on respecte les règles de transcription phonétique, on note tous les sons [o] du créole par "o", et, pour le son "o ouvert" qui existe également, on propose un symbole distinct, par exemple "ò" ou "ô", pour éviter toute confusion.

Différences entre transcriptions et orthographe

Ceci posé qui est valable pour toutes les langues du monde, on doit pourtant souligner en quoi un système de transcription n'est pas une orthographe. Une orthographe, pour être efficace, faciliter la lecture et la correcte réception du message, doit intégrer d'autres données que la seule représentation de la prononciation. A travers l'orthographe passent un certain nombre d'indications, telles que par exemple le rappel de relations grammaticales (ainsi la solidarité entre le nom et le déterminant, en français, se manifeste par l'accord, mais, dans d'autres langues, peut être marquée par un tiret ou par tout autre marque fonctionnelle), la valeur différente de mots phoniquement identiques (homophones), qui peut être indiquée dans la graphie, et beaucoup d'autres données qui font précisément la différence entre une simple transcription, toujours facile à réaliser sitôt que l'on connaît l'alphabet de transcription, et une véritable orthographe qui a des visées de communication au-delà de la seule communauté des linguistes et qui est " fixée " pour servir de références ou norme (de ortho- et graphie).

Les locuteurs face aux notations des créoles

Il faut en outre, pour qu'une orthographe soit acceptée et donc utilisée par les locuteurs, qu'elle réponde partiellement à leur attente : la proposition de symboles déroutants, inconnus, ou considérés comme " étrangers " peut amener les locuteurs à rejeter une orthographe qui aurait été élaborée sans tenir compte de leurs pratiques.

C'est là que la notation du créole pose de nombreux problèmes. S'affrontent précisément deux systèmes, ou plus exactement une notation spontanée, qui ne répond à aucune règle et qui ne constitue pas vraiment un système, et un système qui prône fondamentalement la transcription phonétique, sans véritables autres aménagements : chacun note ce qu'il prononce et si l'on prononce différemment un même mot dans deux régions, on note différemment - ce qui interdit vite toute compréhension, dès que l'on ne vit pas dans la même ville, voire dans le même quartier et que l'on n'appartient pas à la même classe sociale. Dans cette perspective, un Martiniquais et un Guadeloupéen ne peuvent plus se comprendre à l'écrit, alors qu'ils se comprennent parfaitement à l'oral même si chacun note que l'autre à un "accent" particulier). En France, un Méridional ne prononce pas le français comme un Lyonnais, qui ne le prononce pas comme un Nantais ou un Alsacien, mais tout le monde écrit de la même façon, précisément parce que l'on propose une représentation qui ne vise pas seulement la reproduction exacte de la prononciation.

Il faut souligner qu'aux Antilles le public rejette assez largement cette transcription phonétique et que celle-ci contribue à donner une mauvaise image de marque du créole. Il faut dire également que, même si les locuteurs ne peuvent pas toujours dire clairement les raisons de leur rejet, on peut dégager de leurs propos plusieurs indications importantes :

Les solutions en matière d'orthographe sont donc difficiles à trouver puisqu'elles doivent concilier :

En l'absence de "norme", les questions diverses n'étant pas résolues et les graphies n'étant pas fixées, les écrivains écrivent cependant et nombreuses sont les oeuvres en créole en cette fin de XXe siècle (contes inspirés de la tradition orale, poésie, théâtre, nouvelles et même romans ou essais et textes techniques). Pourtant, les lecteurs restent rares et souvent avouent de nombreuses réticences et difficultés : il est certain que l'on doit apprendre à lire le créole comme on apprend à lire les autres langues, et il est un peu "naïf" d'avouer des difficultés de lecture quand on est confronté à un texte créole pour la première fois, et que l'on n'est pas d'abord passé par un apprentissage minimal : quel Français arrive à lire spontanément de l'anglais ou de l'espagnol ? L'école a bien sûr un rôle à jouer dans cet apprentissage, pour former des lecteurs intéressés susceptibles de redemander des textes et donc d'encourager les auteurs à produire. Mais les positions politiques souvent extrémistes des défenseurs du créole ne facilitent pas les avancées en la matière, car elles entraînent des confusions chez les locuteurs les mieux intentionnés : on confond par exemple dans les DOM français (où l'enseignement, comme dans tous les départements français, se fait en français, mais serait parfaitement compatible avec un enseignement de la langue créole) la revendication légitime d'une place pour le créole à l'école avec une demande d'indépendance politique (les indépendantistes présentant souvent le créole comme "langue de l'indépendance"), et alors même que, toujours, les changements d'attitudes sont longs et difficiles à obtenir en matière linguistique (cf. insécurité linguistique, statuts des langues, etc.), ils deviennent impossibles dans un contexte où les représentations sont d'entrée de jeu faussées par des confusions volontairement entretenues.

L'avenir des créoles

Qu'en est-il donc de l'avenir des créoles ? Ces langues, encore essentiellement orales, deviendront-elles un jour des langues écrites, comme le français, l'espagnol, l'italien qui ont supplanté progressivement le latin au cours des siècles dans ses fonctions d'écriture ? La situation en fait est très complexe, car chaque créole n'est parlé que par un nombre restreint de locuteurs (sauf en Haïti) et en outre est partout utilisé conjointement avec une langue de statut international (français ou anglais, dans les mondes créoles français) qui remplit toutes les fonctions formelles et les fonctions d'écriture. Ces deux facteurs auxquels il convient d'ajouter l'importance de l'école au XXe siècle (souvent obligatoire jusqu'à un âge suffisamment avancé) qui ne recourt qu'à la langue "haute" de la diglossie, ne laissent guère de chance aux divers créoles pour l'avenir, à plus ou moins long terme, même si toute la population parle un créole qui est la première langue qu'apprennent les enfants et qu'ils utilisent avant même leur entrée à l'école (situation bien différente des situations des dialectes français en France qui sont parlés à peu près exclusivement par les couches âgées de la population).

Il est donc difficile de se prononcer quant à l'avenir exact des créoles, (cf. Marie-Christine Hazaël-Massieux, 1999) car l'histoire ne manque pas d'exemples où une langue minorée à un titre ou à un autre a pu, dans des circonstances propices, connaître une véritable renaissance, se développer et l'emporter finalement sur la langue qui jouissait du statut le plus favorable. Mais il est indéniable que l'écriture, à notre époque, joue un rôle essentiel dans le développement et la reconnaissance d'une langue et que, si l'usage écrit des créoles dans tous les domaines de l'énonciation, ainsi que leur apprentissage écrit ne se font pas, il y a fort à parier que d'ici un siècle ou deux l'ensemble des créoles français se retrouvera dans la situation qui est déjà celle du créole en Louisiane, c'est-à-dire une situation d'étiolement, voire de disparition, qui ne semble guère récupérable.

Les références principales citées dans le texte sont :

En ce qui concerne le créole réunionnais, on pourra retenir quelques remarques et/ou exemples proposés par Pierre-Louis Mangeard dans son mémoire de maîtrise, "La détermination nominale en créole réunionnais. Essai de Grammaire syntagmatique" (septembre 1996, Université de Rouen), qui résument déjà certains aspects du problème, et on lira avec profit sa thèse : "L'écriture du créole réunionnais. Histoire, description et essai d'analyse", Université de la Réunion, 1998, 242 p.
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Décret de 1979 en Haïti : la revue Etudes Créoles a publié le texte du décret fixant l'orthographe haïtienne (18 septembre 1979), dans le vol. III, n° 1, de novembre 1980, pp. 101-105.
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Exercice n° 17

A partir des courts exemples suivants ("slogans" en créole de la campagne 2003 de la Sécurité routière aux Antilles), que l'on s'efforcera de traduire, on analysera quelques problèmes rencontrés fréquemment dans l'écriture du créole : cohérence des graphies, usage "poétique", significations liées aux oppositions et contrates graphiques...

Si pa vlé mô,
Mette sinti aw !

Dé wou, pridens !
Véyé cô aw !

Piéton,
Rouvé zié aw !

Epi kas
Pa ni cas !

Corrigé