Dans son mémoire de maîtrise, "La détermination nominale en créole réunionnais. Essai de grammaire syntagmatique", Pierre-Louis Mangeard soulignait clairement quelques problèmes rencontrés pour l'écriture du créole réunionnais (pp. 19-20) :
CHOIX DE LA GRAPHIE :L'association spontanée malbar/gens des bas, qui ne correspond en rien à la réelle répartition des ethnies, témoigne de l'écart entre représentations et réalité.
"Langue de culture, mais langue de l'oralité, la légitimité d'un système de graphie du créole commun à l'ensemble des locuteurs reste à établir. L'élaboration d'un consensus achoppe principalement sur trois points :
- le français est la langue de l'école : son orthographe est assénée dès le plus jeune âge. C'est aussi la langue de la presse, de l'affichage, des documents officiels, etc. L'individu alphabétisé est donc fortement imprégné par la norme orthographique, ainsi que par l'idéologie conservatrice et normative assez caractéristique des français vis à vis de leur langue. Il développe alors une grande résistance face à l'émergence d'un code qui lui semble porter atteinte à la "pureté" de la langue, car créole et français sont des langues apparentées dont la première s'appuie sur la base lexicale de la seconde, ce qui engendre bien entendu une certaine similarité dans les formes. Il tiquera devant un habitué devenu abityé, abandonnera dès la première lecture devant l'effort à fournir pour se familiariser avec le nouveau code, et en fin de compte condamnera le système dans son entier par divers jugements d'ordre épilinguistique.
- L'importance du phénomène variationnel, dont le modèle de continuum linguistique rend compte, accroît considérablement la difficulté de l'élaboration d'un code commun à l'ensemble des créolophones. Aux problèmes purement linguistiques s'ajoutent les problèmes soulevés par le conflit des représentations au sein de la société réunionnaise. [...] Aussi, dans l'entretien avec le linguiste chercheur, certaines communautés, certains locuteurs, affirment la singularité de leur façon de parler en invoquant la plupart du temps des facteurs ethniques et régionaux. Pierre Cellier [Description syntaxique du créole réunionnais : essai de standardisation : corpus, vol. 2, Thèse pour le Doctorat d'Etat, Aix-en-Provence, Université de Provence] cite l'exemple d'un témoin de la Plaine des Makes, à propos de l'expresion son boiyo lé tor (= il est de mauvaise humeur) :
sé dmalbar, jèn-jan an-ba, zot i di mé nou isi, an-o, nou lé pa abitié ek sa, nou
(ce sont les malbars, les jeunes de la Côte, qui disent ça, mais nous, ici, dans les Hauts, on n'est pas habitué à ça, nous)Reste enfin la question de la motivation du signe écrit vis à vis [sic] de l'oral, c'est-à-dire la correspondance entre graphie et phonie. En français standard, l'écart est considérable : considérons le signe écrit oiseau et sa réalisation phonologique [wazo]. Au pluriel, on écrira les oiseaux, et l'on prononcera [lezwazo], phénomène très déroutant pour un enfant créolophone. Sauf volonté stylistique ostensible de la part du scripteur, le mot petit s'écrira toujours de la même manière, indépendamment de sa réalisation à l'oral, même si la consonne muette en finale du mot se réalise phonologiquement en liaison avec l'initiale vocalique du mot suivant, comme dans un petit ami. En créole, on atteste au moins quatre variantes à l'écrit (ti, pti, mti, nti) auxquelles s'ajoutent les agglutinations dans des syntagmes plus ou moins figés comme inn tipé (un petit peu), tipèr (le "petit père", du second mariage de la mère), etc. Ce sont des variantes morphophonologiques et non morphosyntaxiques : elles résultent de la transcription phonétiquement fidèle de l'oral où elles se réalisent par assimilation entre phonèmes."
De nombreuses propositions de graphies existent pour le créole réunionnais, des groupes travaillent dans l'espoir d'aboutir à un modèle plus ou moins satisfaisant pour tous, notamment dans la perspective d'un enseignement du créole à l'école (enseignement de langue et culture régionales) . Les aspects théoriques et pratiques développés sur l'écriture du créole pour les Petites Antilles par Marie-Christine Hazaël-Massieux sont considérées comme également significatives pour le créole Réunionnais.
On pourra se référer ici à un "conte réunionnais" qui servira de support aussi bien à une réflexion sur les graphies qu'à diverses études grammaticales.