La phrase créole : ses constituants


On appellera ci-dessous "parties du discours" les différents éléments constitutifs de la phrase créole. On distinguera :

On examinera la question des marques qui permettent d'indiquer les fonctions des différents éléments ; ainsi par exemple :

Le nom

Le nom ou substantif forme le noyau du syntagme nominal, et peut remplir des fonctions de sujet, de complément d'objet ou de complément circonstanciel.

En créole les noms sont morphologiquement invariables (sauf quelques exceptions que nous signalerons ci-dessous) et ne comportent aucune marque susceptible d'indiquer leur fonction (sujet, complément...) ; c'est généralement leur position par rapport au verbe qui permet de savoir si l'on a affaire à un nom sujet ou à un nom complément.

Ces noms créoles, souvent issus de noms français, peuvent comporter la trace d'un ancien article français agglutiné, mais qui bien sûr n'a aucune valeur particulière en créole et n'indique ni le genre ni le nombre) :
"zanfan" (enfant) ; "zyé" (oeuil) ; "lari" (rue) ; "divin" (vin) ; "monpè" (curé, prêtre)

Le nombre, de fait, qui n'est pas marqué dans la morphologie du nom ("zyé" est utilisé aussi bien pour désigner un seul oeil (on zyé), que pour en désigner plusieurs (sé zyé-la), est indiqué par un marqueur de nombre : "sé" antéposé en créole des Petites Antilles, "-yo" postposé en haïtien", "yé" postposé en guyanais (dans les créoles de l'Océan Indien, on recourt de plus en plus pour marquer le pluriel à un marqueur "bann" antéposé au nom).

La catégorie du genre grammatical n'existe pas en créole ; on peut toutefois recourir pour désigner le sexe à des marqueurs spécifiques ("on mal-bèf" ; "on fimèl-chien" ; "on fimèl-bèf"...), ou choisir parmi des paires lexicales : on nonm / on fanm ; on gason / on fiy... Quelques noms de nationalités sont marqués en genre (selon les genres du français : on Ayisyin / on Ayisyèn) ; mais le nombre de ces paires est réduit, et ces formes restent très marginales dans un système qui, pour l'essentiel, n'a pas retenu la catégorie du genre.

Les noms créoles prennent ainsi des formes très variées, résultats d'une évolution à partir d'une base souvent française, parfois non française, mais ne sont identifiables comme noms que dans le discours, par les marques notamment de détermination qu'ils reçoivent et par leur position par rapport au syntagme verbal.

Le verbe

Le verbe (le syntagme verbal) occupe la deuxième place dans la phrase minimale à deux constituants :

Ex. :
(Pyè) (ka manjé)
(Timoun-la) (ké palé misyé-la)
(Fanm-lan) (sé on vyé madanm)
(Nonm-la) (doktè).

Les verbes en créole de la Caraïbe ne sont guère identifiables par leurs formes ; de fait celles-ci sont très variées : vini, manjé, fè, pwan, travay, bouè, viv, etc. Mais chaque base verbale est elle-même invariable, les indications de temps ou d'aspects étant marquées par des particules placées avant le verbe. C'est ainsi qu'on reconnaît le verbe et on le distingue du nom par la présence de ces marqueurs aspectuo-temporels, qui identifient aussi sûrement la partie verbale de la phrase que les déterminants identifient la partie nominale : ainsi c'est dans le syntagme que l'on peut établir si l'on a affaire à un nom ou à un verbe :
"i ka manti" = il ment
"manti-a-li" = son mensonge.

Dans la phrase à deux constituants, le verbe remplit la fonction de prédicat.

L'adjectif

En créole des Petites Antilles la qualification se fait par ajout d'un mot à la suite du nom principal : ce mot (ou ces mots) ajouté(s) ne sont pas différents de ceux que nous avons envisagés dans la catégorie du nom ; de fait tout nom peut servir à préciser le nom principal, et c'est l'ordre des constituants qui permet de dire que tel élément est nom principal, que tel nom le "définit" et remplit ainsi une fonction adjectivale. On comparera :

"timoun fwè-moin" = "le fils de mon frère"
et
"fwè timoun-moin" = "le frère de mon fils".

Certains mots, toutefois, sans doute du fait de leur origine française marquée comme "adjectivale", ne se prêtent pas aussi aisément à ce genre de permutations.

Pour résumer, on pourrait dire que l'adjectif en créole est clairement identifié par sa place, immédiatement après le nom, quelle que soit son origine morphologique. Si beaucoup d'éléments occupant la place d'adjectif peuvent devenir noms principaux en changeant de place, quelques-uns, dans l'état actuel d'évolution du créole en tout cas, ne se prêtent pas à ce genre de permutation.

Quelques éléments, relevant d'une classe close, placés avant le nom, issus d'anciens adjectifs français antéposés, pourraient ici être examinés : on pourrait, légitimement se demander s'il ne s'agit pas aussi d'"adjectifs". Ex. : on vyé kò, on ti-moun, on jèn jan...

La relation n'est sans doute pas toujours aussi clairement étroite que dans des formes comme "timoun", où d'ailleurs l'habitude graphique d'attacher les deux constituants souligne le changement de signification, mais la relation entre le mot antéposé (ancien adjectif français) et le nom est beaucoup plus étroite que dans le cas des adjectifs postposés, et en quelque sorte ne peut être rompue, sauf à changer complètement la référence.

De fait, on préfèrera envisager ces éléments comme relevant d'une classe différente de celle des mots traités précédement comme adjectifs (de fait la plupart des mots qui peuvent être postposés au nom ne peuvent en aucun cas être préposés), et la classe de ceux qui sont antéposés constitue une classe fermée, dont on peut d'ailleurs assez aisément - pour un créole donné - énumérer les éléments. Pour le créole des Petites Antilles, on citera : ti, vyé, jèn, gwo, gran, bèl... Ils constituent, de fait, avec le nom qu'ils précèdent une nouvelle unité, dont le sens change véritablement ("on ti-moun" ce n'est pas "on moun ki pitit") [on voit d'ailleurs avec cet exemple que l'unité antéposée peut être formellement différente de l'unité postposée] ; les propriétés morphologiques et sémantiques de ces éléments, qui relèvent d'une classe close, invitent de ce fait à les traiter comme de véritables "préfixes" susceptibles d'entrer en composition avec les noms de la langue, et non pas comme des "adjectifs" que l'on pourrait mettre ou retirer à volonté.

L'adverbe ou le circonstant

L'adverbe en créole suit le verbe ou peut être, dans certains cas, en position détachée en début de phrase :

  • An ka palé souvan ; an ké vini osouè-la ; lavwa ka bay toupatou...
  • Souvan, moin ka sonjé péi-an-moin ; osouè-la, ou ké vouè-li...

    En plus des adverbes fonctionnant comme tels, souvent issus d'adverbes français ou de locutions adverbiales françaises, on peut avec ou sans prépositions (c'est alors la place qui désigne l'adverbe) former divers circonstants de temps, de lieux, de manière... fonctionnant exactement comme des adverbes : "Vine fè on ti komisyon pou moin a ka Man Féfé"
    "Lè yo rivé, yo ka fè-yo rantré yonn dèyè lòt / adan on bèl kaz"

    [On note en gras ici les circonstants dans ces phrases extraites de corpus cités dans le cours ; On fera apparaître leur fonction d'adverbe aisément en les remplaçant, par commutation, par des adverbes du créole :
    "Lè yo rivé / Bon matin-la / Jou-la-sa / Dimanch/..."
    "Yonn dèyè lòt / alabagèt (au doigt et à l'oeil) / alafin (en fin de compte) / magrésa / dirèktèman/..."
    "Adan on bèl kaz" / Lapointe (à Pointe-à-Pitre) / isidan /..."]

    Les pronoms