L'évolution du français au créole

Les règles d'évolution du français au créole, comme toutes les règles de ce type sont régulières, et permettent dès qu'on les a comprises, de retrouver l'étymologie de mots que l'on n'aurait pas encore examinés.

Ainsi, par exemple, en créole des Petites Antilles, les voyelles antérieures labialisées du français [y], [ø], [œ] deviennent automatiquement [i], [e], [ɛ].

Les exceptions principales à cette règle sont d'ordre géographique ou sociolinguistique :

Guy Hazaël-Massieux rapportait, dans un article de 1967, ce récit populaire guadeloupéen, parfaitement révélateur des phénomènes d'hypercorrections : paru en 1967 : "Certain artisan de village, pour se hisser au-dessus de sa condition prétendait ne parler que français. Ayant un jour acquis un canot, il demanda à l'instituteur du lieu de suggérer un nom pour ledit canot qui était peint en bleu. Au vu de la couleur, l'instituteur proposa "firmament". Le Dimanche, les amis venus à l'inauguration eurent la surprise de lire au flanc de la barque "Furent ma mère". Et triomphant, l'artisan d'expliquer qu'on ne le dupait pas si aisément, qu'il savait bien qu'en français on disait "furent" et non "fir" et que "maman" n'était qu'une forme vulgaire pour "ma mère"."

Le "r". Aux Antilles, le [r] du français disparaît régulièrement en fin de syllabe :
corps [kɔr] devient [kɔ],
terre [tɛr] devient [tɛ],
coeur [kœr] devient [kɛ],
porte [pɔrt] devient [pɔt],
morne [mɔrn] devient [mɔn],
charme [ʃarm] devient [ʃam],
- le "r" latent protégeant même la voyelle de la nasalisation contextuelle traditionnelle.

Le "r" du français subit dans certains contextes une modification : le r généralement uvulaire (cf. le r "grasseyé" du français) connaît une avancée du point d'articulation dans un contexte vélaire : il devient "r" vélaire, c'est-à-dire en fait [w]. C'est pourquoi on entendra :
[wu] pour "roue",
[wɔʃ] pour "roche",
etc.

La labialisation renforce ce phénomène : on entendra ainsi "on ti bwen" pour "un petit brin", "pwan" pour "prendre"...

La nasalisation en contexte est également caractéristique des parlers des Petites Antilles. Toute voyelle orale suivie d'une consonne nasale se nasalise : "maman" se prononce en créole "manman", "aimer" devient "enmé".

Cette règle est valable pour la Guadeloupe et la Martinique. En Martinique, il faut dire qu'en outre existe une forte tendance à la nasalisation progressive (toute voyelle orale précédée d'une consonne nasale est nasalisée), qui s'ajoute à la nasalisation régressive évoquée : ainsi "aimer" peut devenir aisément "enmen", "mais" ("mé" en guadeloupéen) devient "men" en martiniquais.

Exercice n° 4 :

Expliquez quelles sont les étymologies des mots suivants pris dans le texte et à quelles règles évolutives correspondent les formes créoles par rapport au français d'origine :
bèf
konpè
toujou
alò
enmé
jou
pwan
pou

razwa
menm
biten
pati
vwè
fouwé

Pour le corrigé cliquez ici
Note : Hazaël-Massieux, Guy, 1967 : "Remarques sur les créoles français des Antilles : problèmes de convergence linguistique" in Actes du Xe congrès International des Linguistes, Bucarest, 28 août-2 septembre 1967, publié en 1969 par les Editions de l'Académie de la République socialiste de Roumanie, pp. 727-731.