Les "dits de Solibo" dans Solibo Magnifique sont un merveilleux exemple de développement introductif fait par un conteur : on y trouve assonances, allitérations, insertions de créole, et grands mots français : ce morceau de bravoure pourra être étudié également avec profit (il ne s'agit là que d'un extrait des "Dits de Solibo")
NB : L'italique ici figure les réponses de
l'assistance
"Messieurs et dames si je dis bonsoir c'est parce qu'il ne fait pas jour et si je dis pas bonne nuit c'est auquel-que la nuit sera blanche ce soir comme un cochon-planche dans son mauvais samedi et plus blanche même qu'un béké sans soleil sous son parapluie de promenade au mitan d'une pièce-cannes é krii ?
é kraa !
mais si le béké est dans la pièce-cannes il reste toujours sur son cheval bien droit et bien haut comme un lélé de canari alors que dans l'herbe sous les zanmas pas au-dessus mais pile en dessous c'est le congo qui donne sa sueur sans même savoir parler francé dirre un hak pour que quelqu'un comprenne et sans même comprendre fout' qu'il y a des pays comme ça où la mer est par-devant la mer est par-derrière la mer est à tribord et à bâbord et que le plus grand chemin du pays c'est le chemin de la mer qui n'a pas de chemin même pour un canot même pour deux canots même pour dix-sept mille canots parce que s'il y avait un chemin même un petit bout de chemin dans un petit bout sans bout de chemin je l'aurais déjà piétonné pour moi-même Solibo qui vous parle-là comme ça aussi mal debout sur cette terre que sur une vague deux vagues trois vagues et caetera de vagues et mille fois plus si vous voulez pis apani pon importance dirait Hortense qui danse dans la manigance misticrii ?
misticraaa !
Hortense danse dans la manigance mais par-ici pièce nègre ne va danser ce soir car la nuit sera blanche pour kouté pou tann tann ek konpwann même si le congo debout dans l'herbe sous les zanmas ne comprend pas l'A.B.C.D. et il écoutait quand même pour entendre et comprendre tendre et prendre la vie dans les filets de sa tête car pièce qualité de bête-longue n'approchait ses chevilles et quand il a pris le chemin de la montagne Vauclin pyès kalté chiens bouledogues à grandes dents méchants n'a pu aborder sa fumée car il connaissait le chemin de la montagne sans même l'avoir vue ni connue alors que nous-mêmes nègres à l'A.B.C.D. nous chantons la montagne Vauclin je ne connais pas montãn Voklin anpa konèt montãn Voklin anpa konèt pendant que le congo a déjà placé son corps tout en haut de la montagne et qu'il commence à apprivoiser une vie sans chaînes békés méchants cravaches que pièce nègres z'habitants ne peut aborder sans cacarelle ni djidjite ni léfrangite polyphonique à l'évangile tout moun douboute en pique quand c'est critique pour les chiques et les moustiques é kriik ?
kraa !
Remarque : L'absence de ponctuation dans tout ce texte essaye de figurer l'intonation tout à fait particulière du conteur qui émet cet ensemble en quelque sorte d'un seul souffle, sans hésitation, sans chercher ses mots, ceux-ci coulant de source et s'enchaînant directement. Le conteur manifeste par là sa parole aisée qui représente une grande valeur dans les mondes créoles.
Exercice n° 12 :
1°) Chercher des assonances dans le texte.
2°) Réfléchissez aux traits linguistiques qui manifestent le passage du français au créole dans le texte. Citez les passages qui selon vous sont en créole.
3°) Comment expliquez-vous "Hortense danse dans la manigance" ?
4°) Comment se manifeste le goût des chiffres et de l'exagération ?
5°) Relevez dans l'extrait de Solibo Magnifique les formules de contes.