Lapin qui veut demander à Dieu un peu d'intelligence

On notera que cette traduction n'est pas une traduction absolument littérale : on a préféré rendre le conte, en tant que tel, en faisant les légères adaptations qu'une telle traduction requiert en français : usage du passé simple, "ton" de chaque personnage révélant sa personnalité, jeu sur tutoiement et vouvoiement selon les règles du français (en créole il n'y a pas d'opposition entre un "tu" et un "vous" singulier), etc.

- Aaah, les enfants ! Vous êtes là autour de moi comme des coulirous dans une boîte. Qu'est-ce que vous voulez que je vous raconte ?
- Aaah, eh ben, tout simplement, racontez-nous l'histoire de Compère Lapin !
- Ah bon ! eh ben, bon : écoutez bien, faites-bien attention.

Un jour, Compère Lapin, qui était déjà très très malin, se dit qu'il n'était pas assez malin. Alors il prit une grand échelle, et il monta klik klik klik klik... : il alla trouver Dieu et il lui dit : "Mon Dieu, vous m'avez mis sur la terre, mais je suis plus bête que tout ; j'aimerais que vous me donniez un peu d'intelligence".

Dieu lui répondit : "Un petit bonhomme comme toi ! tellement savant ! tu trompes tout le monde..."

- Eh bien, mon Dieu, si vous voulez bien me donner un peu d'intelligence quand même !

Alors Dieu dit à Compère Lapin : "Bon : retourne sur la terre, et dans huit jours, tu me rapporteras : une dent de Zamba, des poils de cochons marrons, du lait de vache sauvage, une crotte de tigre, tout ça dans un petit coco d'Espagne où tu auras fait entrer la couleuvre et ses sept petits... Bon, vas-y et reviens dans huit jours, hen ?"
- Oui, mon Dieu.

Alors Compère Lapin redescendit tout de suite sur la terre, et quand il arriva, il tomba devant un grand cocotier : un cocotier espagnol et qui était plein de singes. Il dit : "Regardez ces singes ! Ils sont laids, oui !... Ce qu'ils sentent !" Alors les singes n'étaient pas contents ! Ils commencèrent à prendre des cocos dans l'arbre, et ils les envoyèrent sur Lapin : bip, bip, bip, bip, bip, bip... Lapin qui n'attendait que ça, ramassa un coco ; il le prit, lui coupa la tête, et il partit.

Arrivé devant la maison de Compère Zamba, il vit un pied de gombos devant la porte, il en cueillit un, il fit une petite sauce, et il la répandit devant la porte de Zanba, puis il prit sa mandoline et il commença à jouer :

"zoué-la té zoué
zoué-la té zoué
zoué-la té zoué
sé moin-mème ki konpè
ki samangyoubay nyan nyan nyan nyan
sa man gyoubay"

Compère Zamba qui était à table et qui mangeait avec sa femme, entendit la musique ; il dit : "Aaah... quelle belle musique ! " Il pencha la tête et il vit que c'était Compère Lapin qui jouait de la musique. Il dit : "Aaah, Compère, oui ! Quel plaisir tu me fais !" et il sortit, il se mit à danser. Quand il se mit à danser, la sauce à gombos qui était glissante - parce que, vous savez, les gombos glissent dans le gosier des pauvres -... et bien elle fit pareil devant la porte de Zamba : il glissa, il tomba, et il se cassa une dent. "Aaah, dit Compère Lapin, Aaaah Zamba, quel malheur ! Comment ça t'est arrivé !!!" Alors, Zamba dit : "Eh ben, mon cher, c'est arrivé : j'étais content de la musique, la dent s'est cassée, je m'en fiche !" Alors Compère Lapin dit : "Mais qu'est-ce que tu vas faire avec cette dent ? Il n'y a rien à faire avec ça. Donne-la moi : mes enfants joueront avec." Compère Zamba dit : "Eh ben, prends-la !" Alors Compère Lapin prit la dent de Compère Zamba, il la mit dans son coco d'Espagne, et il partit.

Quand il arriva un peu plus loin, il tomba devant un champ de cochons marrons : vous savez, ces gros cochons, noirs, méchants, très laids... ils labouraient la terre : kron, kron, kron, kron... Chaque motte de terre voltigeait, grosse comme une maison. Compère Lapin vint les regarder. Il leur dit : "Mais, comment vous pouvez faire un tel travail sans chanter une petite chanson ?" Alors, le chef des cochons marrons dit : "Et si nous ne connaissons rien !" Alors Compère Lapin leur dit : "Mais, voilà une belle petite chanson que vous pouvez chanter : "La dent d'Zamba est cassée ; la dent d'Zamba est cassée ; la dent d'Zamba est cassée..." Alors Compère Cochon-Marron dit : "Mais, quand ?" - Eh ben, tout à l'heure... Zanba voulait faire l'intéresant... il a dansé, il est tombé, sa dent s'est cassée". Alors Compère Cochon-Marron dit : "Eh ben, fais-nous chanter ça !" Et ils se mettent tous, tous les cochons marrons, à chanter : "La dent d'Zamba est cassée ! La dent d'Zamba est cassée ! La dent d'Zamba est cassée !". Aussitôt, Compère Lapin retourne devant la maison de Compère Zamba et il dit : "Compère ! un petit malheur vient de vous arriver : tout un champ de cochons marrons connait déjà l'affaire, et ils chantent : "La dent d'Zamba est cassée ! La dent d'Zamba est cassée !"" Compère Zamba donne alors un énorme coup de poing sur la table, il casse dix-huit-cents assiettes, sans compter celles qui sont fêlées, il prend son sabre, et il dit : "Nous allons aller voir ça !"

Il partit donc avec Lapin jusqu'au champ des cochons marrons, et il commença à donner aux cochons marrons plein de coup de sabre : wach, wach, wach, wach... A chaque coup de sabre, le poil voltigeait partout ; alors Compère Lapin laissa Zamba se débrouiller avec les cochons ; il ramassa un peu de poil, il le mit dans son coco d'Espagne... et il partit.

Il arriva un peu plus loin, dans un grand bourg : il vit une vache sauvage. Il dit : "Aaah, ma pauvre vache ! comme vous êtes là ! vos mamelles sont grosses comme un éléphant, ho... Votre veau ne tète pas ?" Alors Commère Vache dit : "Eh ben, mon veau est tellement faible, il n'a même pas la force de venir téter !" Alors Compère Lapin lui dit : "Eh ben, je puis vous enlever du lait, si vous voulez !" Commère Vache dit : "Eh ben, oui !" Mais Compère Lapin dit : "Oui, mais attention, il faut que je vous attache les quatre pattes soigneusement parce que, peut-être ça peut vous faire mal ! Vos pis sont tellement gros ! Il faut que je vous attache, autrement, vous pouvez faire un geste, me donner un coup de pied, et me casser en deux !" Alors Vache dit : "Eh ben, attachez, attachez..." Alors Compère Lapin prit une liane, il attacha Vache, il l'attacha très serrée... et il prit son petit coco d'Espagne, il le mit sous le pis de la vache, et il commença : dzing, dzing, dzing, dzing, dzing, dzing... Il prit un peu de lait. Alors quand il eut fini, il dit : "Bon, au revoir, hen ?" Alors Vache lui dit : "Mais, détachez-moi !" - Aaaah, je suis pressé, je n'ai pas le temps...." Et il partit pour aller chercher... la crotte de tigre, puisque c'est ça qu'il lui restait à trouver.

Une crotte de tigre ! Il se dit : "Aaah , ouais ! mais le tigre, hen, je ne sais pas si je vais en venir à bout !" Alors il se mit dans un coin, et puis il se soulagea, il prit une crotte, il la mit.. dans son coco d'Espagne. Il dit : "Eh ben, à présent, il me reste : la couleuvre et ses sept petits !" Alors, il partit, il chercha, il chercha, il finit pas trouver la couleuvre !

Arrivé devant le trou de la couleuvre, il se dit : "Il faut que je la fasse sortir, cette couleuvre, parce qu'elle ne va pas sortir simplement comme ça !". Il se mit devant la porte, et il dit : "Non, elle n'entrera pas - Si, elle entrera ! - Non, elle n'entrera pas ! - Si, je vous dis : elle entrera !". Alors, Couleuvre sortit la tête hors du trou, et elle dit : "Qui est devant ma porte comme ça ?" Alors Compère Lapin lui dit : "Macaque et Compère Renard qui disent que vous ne pourrez jamais entrer dans ce petit coco d'Espagne avec vos septs enfants !" Alors Commère Couleuvre lui dit : "Attends un peu !" Et elle redescendit. Pendant ce temps, ses enfants mangeaient une soupe, mais une soupe tellement pimentée que personne ne pouvait la manger, sauf le dernier enfant qui disait à chaque fois : "Maman a dit : celui qui fait "chuit", il ira chez Compère Tortue..." Alors quand il faisait ça, un petit souffle passait dans sa bouche, et il ne se brûlait pas, tandis que ses autres frères qui étaient là, souffraient terriblement, et ils n'osaient pas faire "chuit, chuit", puisqu'on devait les envoyer alors chez Compère Tortue pour qu'ils soient mangés... Alors Commère Couleuvre leur dit : "Mes enfants, ça suffit, venez ! Allons dehors, et nous allons tous entrer là-dedans, hen..." wwwap. Elle glissa sa tête, elle entra, elle entra, elle fit la place pour les septs enfants, et les sept enfants étant entrés, Lapin ferma sa petite calebasse, avec la tête qu'il avait coupée, et il repartit tout de suite pour remonter chez Dieu.

Mais, avec tout ça, dans toute cette affaire, il ne s'était même pas écoulé deux jours, et il arriva chez Dieu, il dit : "Mon Dieu, voilà vos commissions !" Dieu dit : "Comment, quelles commissions ? - "Mais, vous m'avez demandé telle chose, telle chose, telle chose... les voilà !" Alors, au fur et à mesure, Couleuvre sortit, les poils de cochon marron, le lait de vache sauvage, la crotte de tigre... et enfin, tout ce que Dieu lui avait demandé... Alors Dieu dit : "Comment, je t'ai donné huit jours pour faire ça, et ça ne fait pas encore deux jours, et tu as fini ! et tu me demandes de l'intelligence encore ! Mais, d'abord : c'est pas une crotte de tigre, ça !" - Haaa, Lapin dit : "Mais oui, mon Dieu, c'est une vraie crotte de tigre ! Aaah, quelle bagarre, hein pour l'obtenir !" Dieu dit : "Non, c'est pas une crotte de tigre !" - Aaah, si !" - "Je vais envoyer quelqu'un chercher une vraie crotte de tigre, et nous pourrons comparer, et si c'est pas une crotte de tigre, tu peut imaginer ce qui va t'arriver, hen !" Alors, Compère Lapin se mit à avoir peur, il commença à dire : "Eh ben, Mon Dieu, excusez-moi ! mais dans cette bagarre-là que j'ai eue avec le tigre..., ah, vous savez, c'était une sacrée bagarre : on a fait des crottes tous les deux, alors j'ai pris la première crotte venue ! peut-être que ce n'est pas une crotte de tigre, celle-là, que c'en est une à moi !" Alors Dieu dit : "Eh bien, puisque c'est ça, je te pardonne, mais tu es déjà tellement futé puisque tu as porté tout ce que je t'avais demandé en moins de deux jours ! Tu es trop futé déjà !" Alors il prit Lapin, il lui donna une grosse tape derrière la tête : "phhhax !" Lapin retomba sur la terre, et c'est depuis que Dieu a fait ça que pour tuer un lapin, on lui donne un coup de gourdin derrière la tête, et il tombe raide mort !!!

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