Y a-t-il un créole "moderne" ?

On entend de plus en plus évoquer par les locuteurs un "créole moderne" qui se distinguerait du créole traditionnel, ancien... Avec nostalgie par les plus âgés (qui disent que les jeunes ne savent plus parler créole), avec parfois un peu d'agressivité par les jeunes qui disent ne rien comprendre au "vieux créole".

De fait tous ainsi reconnaissent que le créole, qui est une langue bien vivante, comme toutes les langues, évolue. Pour le linguiste les exemples de cette évolution ne manquent pas. Encore faut-il faire preuve d'"ouverture d'esprit", examiner avec soin les corpus (oraux et écrits) recueillis, et l'on ne manquera pas de déceler les marques de cette évolution.

Une recherche portant sur le martiniquais (langue désormais très "écrite" en raison des travaux du GEREC et de nombreux étudiants à l'université des Antilles Guyane, notamment dans le cadre de la préparation du CAPES créole), révèle des tendances très nettes, que l'on peut sans doute rapprocher de faits linguistiques présents dans les langues de contact mais qui deviennent, bel et bien, des traits caractéristiques du martiniquais contemporain.

On essayera ici de présenter des éléments caractérisant ces évolutions avec de nombreux exemples.

Le système des déterminants

On a déjà mentionné les évolutions en cours du système des déterminants définis en martiniquais, déjà très distinct du système guadeloupéen ; récemment (dans les trente dernières années ?), la forme -ya/-yan, attestée aussi bien à l'oral, que maintenant dans certains écrits (forme probablement encore jugée "populaire"), se manifeste assez souvent (en lieu et place de -la, forme d'origine) dans le contexte des voyelles palatales, non nasales ou nasales. Ex. tè-ya ; isi-ya ; fimen-yan, etc.

Les emprunts au français de mots longs, ou les néologismes inspirés du français (plurisyllabiques)

On pourra citer à titre d'exemples, des "créations" du GEREC, inspirées souvent de la langue des "analphabètes" qui de fait sont construits comme des mots français. Peut-on parler de "néologismes créoles" pour ces formes intermédiaires, plus proches du français que du créole (qui n'a pas de dérivation et très peu de "mots longs" - tous obtenus par composition et non par dérivation ?) :

On citera pour faire apparaître un peu les diverses structures françaises réutilisées :

Sur ce modèle Boukman propose "méprizasion" = mépris : relevé dans son discours à l'occasion du Prix Gilbert Gratiant 2006

Comme on le voit il s'agit surtout de "changer" de suffixe par rapport au suffixe français normal ! Il est dès lors facile de fabriquer des mots dits "créoles" ; en revanche leur utilisation n'est guère assuré car les locuteurs sont gênés par ces formes qui évoquent pour eux des formes d'illettrés tentant de parler français.

Ce ne sont là que quelques exemples mais la consultation du Dictionnaire des néologismes créoles("pawol-nèf Kréyol") de Raphaël Confiant et Serge Colot est significative.

Innovations syntaxiques de l'écrit créole

Des calques du français, dénoncés par les plus anciens locuteurs, se multiplient dans la langue courante contemporaine en Martinique ; on a ainsi des structures du type :

(extrait d'un cours de Raphaël Confiant sur le net.)

L'emprunt d'une préposition à l'haïtien ?

Modèle de tous les créoles de la zone caraïbe, et depuis longtemps, le créole haïtien est en train de céder une de ses prépositions, "nan" = "dedans", "dans", "en", au créole martiniquais.

Cette évolution apparaît clairement sur le web, aussi bien dans les forums, que dans des textes plus élaborés, reproduits sur Internet mais qui ont pu faire l'objet de publication ailleurs : on pense par exemple au résumé en créole introduisant l'ouvrage de Jean Bernabé sur La Graphie créole, publié chez Ibis Rouge. Cet exemple est très significatif, car subsistent encore dans ce texte les formes "adan" (majoritaires encore), mais elles coexistent avec des "nan".

On pourra comparer les débuts du Notre-Père (forme traditionnelle) en martiniquais et en haïtien, qui s'opposaient clairement : "Papa-nou ki an syèl-la" martiniquais) et "Papa nou ki nan Sièl-la" (haïtien).

Une étude statistique des plus intéressantes menée dans le cadre de la recherche automatisée sur corpus montre bien :