Extrait de Proverbes et locutions nègres de Victor Schoelcher

L'extrait ici présenté correspond à la deuxième section d'un texte annexé au livre de Victor Schoelcher publié en 1942 : Des colonies françaises. Abolition immédiate de l'esclavage. Il est intéressant d'avoir ainsi accès à des proverbes antillais notés au milieu du XIXe siècle : On constate de ce fait que ces formes brèves transmises par la tradition orale ont subi bien peu de modifications en un siècle et demi : beaucoup de ces proverbes se retrouvent à l'identique dans la bouche de nos contemporains.

"Langue capaud, trahit capaud." - La langue du crapaud le trahit. - En coassant, il indique où il est. Ainsi soyez prudent, ne dites que ce que vous voulez dire.
"Toute mangé bon pou mangé, toute parole pas bon pou di." - Toute chose à manger est bonne à manger, mais toute parole n'est pas bonne à dire, - car
"Miraies tini zoreilles." - Les murailles ont des oreilles. - Ne vous exposez donc pas inconsidérément,
"Pen gade, vaut mieux m'en moque ben." - Il vaut mieux dire : prends garde que je m'en moque bien. - La circonstance, d'ailleurs, est grave. Ne vous lancez que préparé et muni de bonnes armes,
"Nen chimin géné quimbé chouval malin." - Dans un chemin difficile ayez un bon cheval. - Et puis songez que votre adversaire est sur son propre terrain.
"Chien fo la case maite li." - Le chien est fort dans la maison de son maître. - Encore une fois de la prudence.
"Couleve qui vlé vive li pas promené nen gand chimin." - La couleuvre qui veut vivre, ne se promène pas dans le grand chemin. - Vous allez trop à découvert, on vous prendrait vraiment pour un enfant.
"Petite moune connait couri yo pas connait caché." - Le petit monde (les enfans) sait courir, mais il ne sait pas se cacher. - Vous ne voulez pas m'écouter, vous avez tort, songez à ce qui est arrivé à votre voisin.
"Quand babe camarade ous prend di feu ; rôsez celle à ous." - Quand la barbe de votre voisin prend feu, arrosez la vôtre*. - Votre voisin était plus fort que vous, il a succombé, ayez peur qu'il ne vous entraîne dans sa chûte.
"Quand vent roulé pilon calebasse pend gade corps li." - Quand le vent roule des pilons, la calebasse n'a rien de mieux à faire qu'à prendre à son corps. - A l'heure de la catastrophe, vous vous repentirez, vous direz : Ah ! si j'avais su. Mais il ne sera plus temps.
"Si moin te connait toujours deière." - Si je l'avais su, vient toujours derrière ; - lorsque la sottise est faite et irréparable. Vous voulez, dites-vous, vous adresser au sorcier ; allons donc, je sais bien que
"Honte fait ous boit wanga." - Que la honte vous fait boire le wanga ** ; - que l'on suit les préjugés vulgaires, même lorsqu'on n'y croit pas soi-même, de crainte de passer pour esprit fort ; mais ne vous abandonnez pas à de telles faiblesses, laissez-les aux imbécilles ;
"Complot pis fo passé wanga." - Un complot est plus fort qu'un wanga. - A la vérité tout ce que je vous dis ne sert à rien, mes conseils même peut-être vous deviendront funestes,
"Quand moune tini malheu sepent modé li pa la queue." - Lorsque quelqu'un a du malheur, un serpent le mordrait par la queue.



Notes de Schoelcher :
* J'ai trouvé ce dicton à la Martinique, île que les Espagnols n'ont jamais possédée, il est dès lors assez singulier qu'on le retrouve pareil dans leur langue. "Cuando la barba de tu vecino vieres pelar hecha la tuya à remojar", Quand tu verras la barbe de ton voisin peler, mets tremper la tienne.

** Conjuration cabalistique.