Extrait de L.F. Prudent et G.J. Mérida ""... an langaj kréyòl dimi-panaché..." : interlecte et dynamique conversationnelle", 1983

... paskè man ni an gran pwoblèm, la, aprézan ; gran pwoblèm lan... mi man ha ka santi man anvi antré bò-kay... madanm mwen, man ja, man ha mennen-y an vakans ; sa tré joli, i enmen vakans la... "la belle vie, soleil, la mer"... bon ! épi abité moun an pa lé abité... moun lan, sé isi i lé, i lé... sé péyi-y ; laba-a pou-y, sé pa péyi-y... alòr mwen menm ki lé rantouwné an péyi mwen, ki-mannyè man ka fè ? man oblijé swa divòsé, piskè i pa lé alé, oubyen kité-y la épi sé timanmay la. Man pa kay kité-y la épi sé timanmay la an bonda mwen... alòr sé an bagay éti bagay, douvan lalwa... é, douvan lalwa-a man pétèt ké ni tò... yo kèy ban-an pétèt tò ankò... ou konprann, sa sé two, sé an gran pwoblèm bagay tala... an gran gran gran pwoblèm... et y'a pas qu'ça, pace que, admettons que ou ka chèché an lòjman : madanm ou blan... ou kèy, ou ka alé, ou ka téléfoné pou lòjman an ; yo ka di-w : "ah, ça vient d'èt' pris, il aurait fallu venir avant", oubyen yo ka di-w : "bon ben oui, on vous la réserve, venez"... tu te présentes "ah mais monsieur, vous êtes venu trop tard, on l'a donnée à quelqu'un d'aut'"... tu envoies ta femme une demi-heure plus tard : "ah ben oui, madame, elle est encore libre la cham'"... ça prouve que : tu es mariée avec une métwopo, une métropolitaine, men, elle va passer avant toi, et pourtant vous êtes mariés tous les deux... elle porte le nom ; men si elle va toute seule elle va avoir la chamb', mais si tu vas avec elle, tu as rien du tout... y'a pas qu'ça... pour les voitures... pou, pou, pour pas mal de choses encore... c'est comme l'aut' qui te dit : "vous êtes Français, on est pas racis'... vous êtes Français à part entière", mé moi, je dirais "entièrement à part"...

Traduction (des auteurs de l'article) :

... parce que... maintenant j'ai un grand problème, le grand problème c'est que... voici que je me sens des envies de rentrer chez moi, ma femme, j'l'ai, j'l'ai déjà emmenée en vacances... c'est très joli, elle aime les vacances là-bas "la belle vie... soleil... la mer", bon mais question d'habiter la nana ne veut pas habiter, la nana c'est ici qu'è veut qu'è veut... c'est son pays... là-bas, pour elle, c'est pas son pays... alors moi même qui veut rentourner dans mon pays, comment je fais ? je suis obligé soit de divorcer, puisqu'elle veut pas venir, ou bien de la laisser là avec les enfants... je la laisserai pas là avec les enfants dans mon cul... alors ça c'est un truc, mais un truc qui t'amène devant la justice, et peut-être que devant la justice j'aurai tort, ils vont me donner peut-être tort encore... tu comprends, ça c'est trop... c'est un grand problème ce truc là... un grand grand grand problème et y'a pas qu'ça...pace que, admettons que tu cherches un logement... ta femme est blanche... tu vas, tu vas tu téléphones pour le logement on te dit "ah ça vient d'être pris il aurait fallu venir avant" ou bien on te dit : "bon ben oui on vous la réserve, venez" tu te présentes "ah mais monsieur vous êtes venu trop tard, on l'a donnée à quelqu'un d'aut'" tu envoies ta femme une demi-heure plus tard : "ah ben oui madame, elle est encore libre la cham'" ça prouve que... tu es marié avec une métwopo une métwopolitaine mais, elle va passer avant toi, et pourtant vous êtes mariés tous les deux elle porte le nom mais si elle va seule elle va avoir la chamb' mais si tu vas avec elle, tu n'as rien du tout...y'a pas qu'ça... pour les voitures pou, pou, pour pas mal de choses encore... c'est comme l'aut' qui te dit "vous êtes Français on est pas racis'... vous êtes français à part entière" mais moi je dirais "entièrement à part"...

Questions :

1) Ce texte est un texte enregistré et juste retranscrit où alternent de façon très caractéristique du créole et du français. Précisez quelles sont les formes qui relèvent d'une langue ou de l'autre en notant soigneusement toutes les interférences. Donnez les raisons des attributions que vous effectuez. Analysez les divers problèmes rencontrés.

2) En ce qui concerne les unités suivantes, précisez :
- La signification de "lan" dans le texte ?
- Que signifie et à quoi renvoie "y" dans "man ha mennen-y an vakans" ? (l. 3)
- Que signifie "ou" dans "madanm ou blan..." (l. 14)
- Avez-vous une hypothèse pour expliquer la valeur de "ha" dans le texte, en vous servant de la traduction (il s'agit de la transcription phonétique d'une unité morphologique réalisée parfois autrement) ?
- Répartition et valeur de "man" et "mwen" dans le texte.

Exercice n° 5

Traduire en créole martiniquais (le vocabulaire est dans le texte), les phrases suivantes :
J'ai déjà emmené ma femme en vacances.
Ma femme ne veut pas habiter ce logement.
Mes enfants auront peut-être tort.
Les gens veulent rentrer au pays (antré bò-kay).
J'ai un grand logement.
Tu la laisses avec les enfants.

Corrigé

Extrait de L.F. Prudent "Kréyol sé lang nou Martiniké"

1ère dame Kréyol sé lang nou Martiniké... alo nou ka palé kréyol... TANDIS QUE... en France, c'est le français qu'on parle... ALORS COMME nou za abitué palé kréyol nou, sé kréyol nou ka palé...
Question : AH BON ! ès ou ka konsidéré kréyol la kon an lang ou kon an patwa ?
1ère dame : ében, an ka konsidéré kréyol la pou mwen c'est un, c'est une... c'est la vie du pays. PASKE antan Kristof Kolon quand on a découvert Martinique, MATINIK dékouvè, sé kréyol nou ka palé. Nou sé dé, nou désandan Afritÿen, alo nou oblijé ka palé kréyol...Wé ! Nou désandan Afritÿen é anko dot, nou ka fè désandan Lafrik, ehh. AMERIK (...) Alo, kan ich nou pati an Frans nou ka fyèr di wè ich nou pati an Frans... Mé lè i déviré vini Matinik, i ka palé fransé, i ka di'w : "Oh dis MANMAN tu sais... J'ai vu QUEQUE-CHOZ là-bas, hein !"
Question : Abon ! Mé ès ou ka fyèr lè yo ka palé fransé ?
1ère dame : ébé,
MWAMEN j'aime le français parce que quand y' a dé CHOZ... dé gran menteng, épi man enmen alé wè'y man tann palé fransé ya..."

Traduction de L.F. Prudent

1ère dame : Le créole c'est notre langue à nous, Martiniquais... tandis que... en France, c'est le français qu'on parle... alors, comme nous sommes déjà habitués à parler notre créole, eh bien nous parlons notre langue naturelle...
Question : Très bien ! Est-ce que vous considérez le créole comme une langue, comme un patois... ?
1ère dame : Eh bien, pour moi le créole je le considère... c'est un c'est une... c'est la vie du pays... Parce que, du temps de Christophe COLOMB, quand on a découvert la Martinique, découvert la Martinique, nous parlions créole. Nous sommes des, nous sommes des descendants d'Africains, alors il n'est pas surprenant que nous parlions créole... Ouais ! Nous sommes descendants des Africains euh... des Américains (...) Alors, quand nos enfants partent pour la France nous sommes fiers pour eux de tout ce qu'il leur arrive... Mais lorsqu'il est de retour en Martinique, il parle français, il se met à vous dire : "Oh dis maman, tu sais... j'ai vu des choses là-bas, hein !"
Question : Bien ! Mais est-ce que vous êtes fière lorsqu'il parle français ?"
1ère dame : Eh bien, personnellement j'aime le français, parce que quand il y a des trucs... des grands meetings (conférences électorales) eh bien j'aime bien y aller pour les entendre parler leur français."

L.F. Prudent recourt à quelques indications typographiques : le créole est en italiques, le français est en caractères droits ordinaires, les transitions entre les deux langues sont notées en capitales. On pourrait d'ailleurs discuter certains choix du transcripteur, car l'appartenance d'une forme à une langue n'est pas toujours aisée à déterminer : on précisera dans quels cas la question pourrait être examinée.