La notion de grammaticalisation

En parlant de "grammaticalisation", on veut dire que des éléments, au cours de la structuration grammaticale d'une langue, se sont structurés en paradigme, régularisés, qu'ils forment un véritable système et qu'ils n'apportent pas simplement une signification dans le discours comme les éléments lexicaux non "grammaticalisés", mais qu'ils sont indispensables au fonctionnement de la phrase. On comprendra tout de suite la différence entre

On voit ainsi qu'il y a plusieurs façons de marquer l'obligation en créole ("fo", "li bizoin", "i dwèt...", etc., et que stylistiquement, on peut choisir parmi elles. En revanche, le système de base du verbe inclut la présence de "ka" / "té" / "ké"/ mais aussi de "té ka" / "té ké" / "ké ka"/, "té ké ka", dans cet ordre strict, imméditatement devant le verbe, etc.

Il peut y avoir divers degrés de grammaticalisation dans une langue. Seront considérées comme totalement grammaticalisées les unités qui sont devenues obligatoires au fonctionnement de la langue et qui constituent un paradigme fini. Dans un état antérieur, elles pouvaient n'être que facultatives pour la constitution de la phrase. A partir du moment où l'on est obligé de recourir à telle ou telle catégorie, on sera renvoyé à la "grammaire" de la langue. Le genre est une catégorie du français, puisqu'il faut obligatoirement rapporter tout nom (y compris tout nom nouveau emprunté) au masculin ou au féminin ; le genre catégorise ainsi partiellement des données sexuelles, les individus de sexe masculin étant plutôt catégorisés dans la classe "masculin", tandis que les individus de sexe féminin sont catégorisés dans la classe "féminin". En créole, on peut bien sûr exprimer le sexe (notamment en recourant au lexique cf. "on fimèl bèf", "on mal krab"), mais il n'y a pas grammaticalisation du sexe en genre. Autre exemple : en français, on peut dire l'existence de deux éléments en recourant par exemple à du lexique : "une paire de chaussures", "une paire de lunettes", etc., on n'a pas pour autant un véritable "duel" comme en grec, langue dans laquelle, à tout moment le locuteur doit choisir entre trois formes grammaticales distinctes selon qu'il a affaire à un, deux ou plusieurs individus.

En ce qui concerne le verbe, on dira que des auxiliaires, relevant d'abord essentiellement du "lexique", et constituant ainsi une classe relativement "ouverte", peuvent, au cours de l'histoire d'une langue se grammaticaliser pour devenir partie du système de base (constituant alors un ensemble "fini"). C'est ainsi que s'est formé le futur suffixal du français, qui était d'abord l'auxiliaire "avoir" latin, fixé de plus en plus après le verbe et progressivement devenu partie de la conjugaison : "cantare habeo" donnant "cantar-ai" = "chanterai", avec les évolutions phonétiques normales.
La forme des unités, leur fixation progressive dans une position, leur "nécessité" pour compléter un paradigme avec des trous sont des facteurs qui peuvent favoriser à un moment de l'histoire d'une langue, la grammaticalisation de telle ou telle forme : on reverra cette question à propos des déterminants.

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