Les créoles

Les langues que l'on appelle " créoles " correspondant d'abord à des langues parlées dans des zones géographiques où s'est exercée la colonisation européenne des XVIe au XVIIIe siècles.

C'est la définition qu'en donne R. Chaudenson qui dit des créoles qu'ils sont "des variétés de langues qu'on rencontre dans certaines anciennes colonies européennes et qui, tout en étant manifestement issues des langues des colonisateurs, constituent des systèmes linguistiques particuliers et autonomes " (Citation extraite de Robert Chaudenson, dans Les créoles, PUF, coll. Que sais-je, n° 2970, 1995, p. 4).

Dans ces zones où l'on a utilisé très tôt le terme portugais (ou espagnol) 'criollo' pour désigner tout produit né aux îles de géniteurs étrangers (si l'on parle de "Noir créole" ou de "Blanc créole", on parle aussi de "tomate créole" ou de "vache créole"), par opposition aux produits importés, on a utilisé beaucoup plus tardivement (souvent au XIXe siècle seulement) le terme de "créole" pour désigner la langue parlée par les Créoles (comme l'allemand est la langue parlée par les Allemands, le français la langue parlée par les Français, etc.). De ce fait, on a donc appelé "créoles", des langues fort diverses, nées dans des zones différentes, et qui peuvent même, du fait de bases lexicales différentes (créoles portugais, créoles français, créoles anglais, créoles néerlandais...) sembler au premier regard des idiomes complètement distincts.
Il faut d'ailleurs souligner, que des créoles français, situés dans des zones aussi différentes que l'Océan Indien ou la Caraïbe, ne sont pas non plus intercompréhensibles, et que se trouve donc très vite posée la question de la légitimité d'une appellation qui peut entraîner ainsi de graves confusions (certains créolophones ont ainsi pu proposer de parler désormais de "mauricien", pour le créole de Maurice, d'"haïtien" pour le créole d'Haïti, de "cap-verdien" pour le créole du Cap-Vert, de "jamaïcain" pour le créole de la Jamaïque, etc.), sans que puisse malgré tout être définitivement éludée la question d'éventuelles ressemblances entre ces langues.

Il est certain qu'il est tentant d'envisager le terme de "créole" comme désignant un certain type de langues : dès le début des études sur les créoles, on a été frappé de ressemblances qui, à côté des différences évoquées précédemment, ont amené les linguistes à se demander si l'on ne pouvait pas parler de "type créole" pour désigner des langues comportant des caractéristiques phonologiques, morphophonologiques, morpho-syntaxiques, lexicales, voire sémantiques proches. Ainsi, on a pu être frappé de l'extrême dominance des types syllabiques en CV, de la disparition quasi générale dans tous les créoles de la copule dans la phrase prédicative simple : "moin doktè" = je suis médecin ; "moin pitit" = je suis petit ; d'organisations semblables du syntagme verbal ou du syntagme nominal, etc.

C'est pourquoi, les recherches sur la genèse de ces langues, les conditions de leur "naissance" et leur évolution semblent naturellement s'imposer aux linguistes. Comme le souligne G. Manessy, ces langues "présentent [...] un caractère commun : leur mode de constitution ; elles apparaissent toujours dans des circonstances où la pression d'un bon usage est absente, se relâche ou disparaît" - et ceci est commun à ces types de langues qu'on appelle "langues véhiculaires", "pidgins" ou "créoles"." (G. Manessy, dans Créoles, pidgins, variétés véhiculaires. Procès et genèse, CNRS Editions, 1995, p. 10.)

G. Manessy précise :
"Pour les créoles, deux matrices génétiques peuvent être postulées ; la plus ancienne est celle qu'avait conçue R.A. Hall Jr (1962) : un créole est un pidgin "nativisé", c'est-à-dire devenu la langue maternelle commune à une partie au moins de ses locuteurs. Cela correspond au schéma ultérieurement dressé par D. Bickerton (1981) : un compromis linguistique établi entre des gens de langues différentes contraints de commercer ou de cohabiter se trouve structuré en une langue nouvelle dès lors que cet agrégat se mue en une communauté. L'autre hyptohèse assigne pour origine aux créoles soit l'autonomisation d'une variété véhiculaire prise en charge, à titre de langue première, par un groupe social en formation, soit la cristallisation prématurée, dans des circonstances analogues, d'un ensemble d'approximations effectuées par les locuteurs débutants d'une langue cible. I l est fort possible que ces deux modes soient attestés. " (op.cit.p. 10).

Manessy continue :
"Toutes ces considérations relèvent de l'hypothèse. Ce qui est sûr en tout cas, c'est que dans les circonstances où sont, ou bien furent parlés les pidgins, les variétés véhiculaires et les créoles naissants, la langue se réduit à un instrument de communication, complémentaire des indications fournies par les circonstances de l'interaction, et par là même soumis aux exigences "technologiques" qui pèsent sur tout outil : procurer le meilleur rendement pour le moindre effort. [...] Bon nombre des ressemblances constatées entre les parlers ici examinés sont imputables non à des caractéristiques communes aux langues d'origine, de superstrat ou de substrat, mais à l'analogie des conditions d'emploi. Les mécanismes en cause sont observables dans leur dynamique même à travers l'usage qui est fait des variétés véhiculaires ; les pidgins en procurent une image quasi statique et les créoles actuels, langues de plein exercice propres à répondre à tous les besoins communicationnels de communautés autonomes, en conservent des traces sensibles. " (op. cit. pp. 12-13).