Corrigés des exercices


Corrigé Exercice n° 13

1°) Analyse des divers dictionnaires retenus.

Fontaine est sensible uniquement au signifiant : il regroupe dans la même entrée tous les "ba" (donner, chausettes, barricades, bas, pour), les classant seulement par catégories discours (verbe, nom, adjectif, préposition...) ce qui n'a pas grand sens car si "bas" est peut être un adjectif en créole (cf. l'exemple cité par Poullet, qui cependant renvoie à "kout", plus largement attesté dans un sens comparable: "on ti fanm tou ba ka rété anlèla = une toute petite femme qui habite là-haut"), il est surtout un nom avec des sens divers ; les origines complètement différentes des différents mots qui en font des homophones, mais ne peuvent être considérés comme les sens différents d'un même mot, rendent le regroupement dans une entrée très contestable. La même chose se reproduit pour "ban" où l'on trouve dans la même entrée à la fois "banc" et "ban" comme nom, mais également la variante en contexte nasal de "ba" = donner (cf. ban-moin, "ban-nou").

Ce point mérite quelques explications. Certes, on pourrait, sans souci aucun de l'étymologie, considérer comme "mot" de la langue et comme "entrée" de dictionnaire l'unité graphique, qui serait alors fréquemment très polysémique : on en rendrait compte sans se préoccuper de l'étymologie, la forme graphique unique pouvant être l'aboutissement d'évolutions phonétiques différentes. La tradition lexicographique occidentale, pourtant, a fait des choix théoriques généralement différents que Jean et Claude Dubois rappellent dans leur ouvrage Introduction à la lexicographie : le dictionnaire (Larousse, 1971, pp. 21-22), à propos du Grand Larousse Encyclopédique :
"1) Le mot se confond avec l'adresse, c'est-à-dire avec l'unité délimitée par deux blancs typographiques et qui est réduite à la forme du paradigme considérée comme fondamentale. Les substantifs sont réduits à la forme du signulier, du masculin ; les amalgames du type au ou du sont réduits à la forme simple à, de, le.
2) Deux unités synchroniquement homonymes, mais diachroniquement différentes sont considérées comme des mots distincts (des adresses différentes), lorsque leurs aires sémantiques ne se superposent pas : c'est le cas des homographes du type cousin relation familiale et moustique).
3) Si une unité significative reconnue comme unique sur le plan diachronique, se présente dans la synchronie avec des systèmes de distribution profondément différents et non complémentaires, cette polysémie se résout par la constitution des deux adresses :
- acte (de théâtre)
- acte (de loi)
- acte (fait, agissement)
ou encore :
- carte (feuille épaisse)
- carte (géographique)
- carte (à jouer)."

Mondésir est plus conforme aux usages lexicographiques, retenant comme entrées distinctes les mots sitôt qu'ils ont une origine différente : on trouve ainsi "bai" = "baille" en français, du latin bajula = chose qui porte ; récipient renfermant une substance", pour désigner un baquet, une bassine ; puis une autre entrée "bai" = donner (l'entrée inclut les variantes de bai que sont "ban" "ba"), "ban" (= banc français), et enfin "ban" comme "publication, annonce de mariage".

Bazerque, qui peut être discuté également pour son orthographe très francisante et donc "incohérente", regroupe aussi les unités par le signifiant, séparant ainsi un soi-disant "impératif" de "bail" (verbe) qui n'est bien sûr que la forme nue du verbe, c'est-à-dire sa base, non modifiée précisément hors contexte. L'explication "étymologique" (du français "bailler") pour le verbe n'est pas prouvée, et sans doute un peu rapide. Quant aux sens prétendument différents qui apparaissent du fait de choix particuliers pour la traduction d'expressions telles que "aien pas [sic] ka bail", littéralement, "rien ne donne", il convient de se méfier d'attribuer des sens à "bail" qui ne seraient que purement contextuels : ces sens apparaissent dans des expressions, du fait du contexte, mais ne sont pas en propre des "sens" du verbe. Mettant à part "ban" pour son signifiant, Bazerque renvoie à "ba", mais omet les autres mots "ban" (= banc, par exemple).

Poullet, qui multiplie les entrées, pourraient a priori sembler refuser les confusions, mais de fait, la multiplication exagérée, ne permet plus de voir que certaines entrées ne sont pas justifiées puisqu'elles regroupent quelques-uns des sens contextuels d'un mot (par exemple bay=donner), mais n'ont absolument pas lieu de constituer une entrée autonome. Ainsi on ne voit pas pourquoi sont distingués deux "bay", l'un qui signifierait "donner" (avec ses variantes formelles), l'autre qui regrouperait des sens comme "produire un effet", "mauvais sort" ??? pourquoi ce passage à un nominal (il s'agit clairement pour "yo bay on gwopyé" de "ils lui ont donné un éléphantiasis", c'est-à-dire encore du verbe "bay" = donner, de même pour "on bobo bay" : que ce soit donné par magie ou de façon ordinaire ne change rien au fait qu'il s'agisse toujours de "donner" ; de même, ce qui est traduit par "porter des fruits" comme pour introduire un sens tout à fait nouveau est bel et bien "donner des fruits", expression construite également à partir de "bay". Quant à l'introduction dans cette même entrée de "bay" = "baille" (moitié de tonneau servant de baquet), on ne voit absolument pas ce que cela vient faire ici, puisque cela ne fait que donner une allure "fourre-tout à ce deuxième "bay" : l'essentiel mériterait d'être introduit dans la première entrée "bay" (= donner), tandis qu'effectivement une entrée devrait être réservéeà "bay"= baille, moitié de tonneau.

Les nombreuses entrées suivantes dans le dictionnaire de Poullet sont des plus intéressantes, puisqu'elles regroupent diverses locutions incluant bay "bay adan" = allons-y, dépéchons, "bay blag" = plaisanter, "bay lavwa" = diffuser, "bay men" = serrer la main, saluer, etc. Elles auraient cependant plus leur place à l'intérieur de l'entrée "bay" puisqu'elles sont des développements à partir du mot de base et peuvent souligner la richesse obtenue lors d'utilisations contextuelles, ici d'ailleurs plus ou moins figées.

2°) Les informations sémantiques recueillies à travers les divers dictionnaires de la Caraïbe analysés, permettent de proposer finalement les entrées suivantes :

ba = bas. Ex. "on ti fanm tou ba ka rété anlèla". On lui préfère généralement la forme "kout". De fait, "ba" est surtout utilisé utilisé avec ce sens dans la forme "anba" : i anba = il est en bas

ba = pour, à... Préposition que l'on rencontre en créole avec diverses valeurs : "fè sa ba-li / ba-moin" = fais ça pour lui / pour moi ; "i ka travay ba Pyè" = il travaille pour Pierre ; "timoun-la voyé on lèt ba maman'y" = l'enfant a envoyé une lettre à sa mère.

bay/ba = donner. Réalisé "ba", "bay", "ban", selon le contexte et la variété linguistique : la forme longue "bay" apparaît surtout en-dehors de tout usage avec un pronom. Quand le verbe est suivi d'un pronom, il se réduit à la forme "ba", qui alors est éventuellement phoniquement réalisée selon l'environnement immédiat : ba-moin lè (prononcé "ban-moin") = donne-moi de l'air (ne me colle pas) ; i ka ba-vou (ba-w) on bèl ti-moun = elle te donne un bel enfant ; ba-li bouyon = donne-lui du bouillon ; ba-moin (ban-moin) on ti-bo = donne-moi un petit baiser (biguine connue) ; i ba-li (ba-y) matété = elle lui a donné du matété. Dans tous les autres cas on trouve surtout la forme longue : Ex. i ka bay Pyè on liv = il donne à Pierre un livre ; i ké bay Marie bèl bitin = il donnera à Marie un beau machin. Bay/ba comme verbe intervient dans de très nombreuses expressions plus ou moins figées bay lavwa, etc.. Peut se rencontrer comme nominal qualifiant après un nom : "on bobo bay" = une plaie donnée (par sortilège, par exemple). La forme longue se rencontre toujours en fin de phrase, ou entre deux groupes syntaxiques (c'est-à-dire quand il y a une rupture syntaxique). Partout ailleurs on a la forme courte, qui se combine alors étroitement avec les autres éléments du groupe syntaxique.

ban = banc

ban = ban (homonyme du précédent)

bay = baquet, bassine.