De même que le terme de "mulâtre" est à mettre en relation avec "mulet" (croisement du cheval et de l'âne), le terme de chabin, au sens scientifique du terme désigne le fruit d'un croisement entre le bélier et la chèvre ou entre le bouc et la brebis. On peut voir déjà dans la transposition à l'homme d'un terme utilisé pour désigner le produit d'une union animale "contre nature" l'annonce des mépris et péjorations dont seront l'objet les membres de ce groupe humain (le terme de "chabin/chabine", comme nous allons le voir, sert à désigner un certain type de populations métissées).
Pour apporter encore des éléments aux discussions autour du terme de "chabin", dont la signification est bien mal perçue par les lecteurs métropolitains de littérature antillaise qui en restent à de vagues caractéristiques ethniques ("Type humain présentant des traits négroïdes, un teint clair et des cheveux crépus, blonds ou roux" - quand ce n'est pas seulement la mention de "métis de blanc et de noir" comme dans les dictionnaires français !), alors que de fait, le chabin figure souvent surtout un personnage agressif ou même méchant (cf. l'expression créole : "on mové chabin"), toujours inquiétant, on lira avec intérêt l'article de Franck Degoul "Le Diable, les deux Indiens et le Chabin. Une illustration en récit de l'imaginaire du pacte diabolique en Martinique", in Au visiteur lumineux, de J. Bernabé, J.L. Bonniol, R. Confiant et G. L'Etang, éds., Ibis Rouge, 2000, pp. 437-450. L'auteur de l'article parle de "chabin paradoxal" et montre que sa présence au sein d'une affaire d'"engagement" (pacte avec le diable) n'est pas fortuite.
Dans un article qui vient de paraître (Portulan, "Esthétique noire", 2000, pp. 189-202), Marie-Christine Hazaël-Massieux note, à propos de l'usage du terme de "chabin" chez Chamoiseau :
A propos des chabins :Dans Solibo Magnifique, on évoque un "chabin rouge" parmi les badauds qui se trouvent là au moment de la mort de Solibo : "On dirait qu'il est mort, s'inquiète un chabin rouge" (p. 39, Gallimard, 1988) : le chabin rouge a les cheveux roux et se distingue du chabin jaune (blond). On rencontre un autre chabin, Richard Coeurillon ("chabin sec, tout vif de nervosités", p. 182) qui pleure tout le temps, avant et après l'interrogatoire. On le retrouve pleurant encore à la page 200. Dans Chronique des sept misères (Gallimard, coll. "Folio", 1993), on trouve "un gros chabin suant" qui conduit un cabrouet vers Fort-de-France (avec une note à chabin qui précise "métis blanc-nègre"), et l'auteur nous précise que "Le chabin, dont l'inquiétude augmentait avec la tombée de la nuit, se sentit soulagé quand les premières maisons du quartier Château-Boeuf annoncèrent Fort-de-France." (p. 37). On rencontre encore un "chabin-foubin" (p. 58) aux pouvoirs étonnants. Dans Texaco (Gallimard, 1992), plusieurs fois des chabins apparaissent, et très précisément dans le mauvais rôle du séducteur de Ninon.
"Mais Ninon, enivrée par l'odeur de liberté prochaine et les manières fascinantes de ce nègre à chaussures, avait le coeur qui balançait. D'un côté, mon papa Esternome, mais de l'autre un chabin à cheveux rouges, méchant comme un mangeur des guêpes, qui souvent, et véritablement, perdait la tête dans des rages sans manman. Mon Esternome découvrit l'affaire d'un seul coup. Un soir, Ninon sur le pas de sa case. A ses côtés, non pas l'impossible Africaine mais le bougre rugissant. Et alors que tout homme dont l'esprit était en axe discutait de la déclaration du béké Husson à propos de la liberté qui va venir si vous gardez patience, et qui l'avait proclamée en créole aux esclaves de partout devenus ses "amis", lui, mon fou d'Esternome, mon ababa de charpentier, se battait contre un chabin de chaînes plus sifflant qu'une bête-longue. Tandis que les gens équilibrés fêtaient l'annonce que Fort-Royal redevenait Fort-de-France, hurlaient sur la nomination du nouveau conseil municipal de Saint-Pierre composé d'un béké oui, mais aussi d'un mulâtre appelé Pory-Papy et d'un nègre oh-la-la crié Cordier, auxquels Husson avait donné une accolade, lui, mon dingo débiellé, traversait des ravines pour discuter de ses avantages sur un chabin tok-tok auprès d'une négresse illuminée, se jouant, c'est assuré, de tant de sentiments."Citons encore cette "description" d'un chabin dans Ravines du devant-jour :
"Sacré vyé chaben ki ou yé ! Sakré chaben prèl si ! Chaben, tikté kodenn ! Chaben tikté kon an fig mi ! Foutém-walikan, chaben sé an mové ras Bondié pa té janmen dwèt mété anlè latè !" (Espèce de mauvaise race de chabin ! Espèce de chabin aux poils suris ! Chabin au visage tacheté comme un coq d'Inde ! Chabin tiqueté comme une banane mûre ! Fous-moi le camp, les chabins sont une mauvaise race que Dieu n'aurait jamais dû mettre sur la terre !)" (Confiant, Ravines du devant-jour, 1993, p. 34).A travers tous ces textes, on peut noter des traits de caractère caractéristiques du chabin : ses larmes, sa nervosité, son inquiétude, mais aussi souvent sa méchanceté, son agressivité. On voit tout de suite qu'il s'agit d'un personnage particulier, "marqué", doté de pouvoirs, parfois bénéfiques mais le plus souvent maléfiques, mais dont la spécificité ne peut être ramenée aux définitions classiques données dans les dictionnaires créoles.
Le mot de chabin (qui a un correspondant féminin "chabine"), terme régulièrement présent dans les romans antillais, suscite effectivement l'interrogation du lecteur métropolitain, qui aura beaucoup de mal à trouver une explication satisfaisante. Notons que ce terme n'est répertorié ni dans le Petit Robert (même dans le Robert 2000, pourtant si accueillant), ni dans le Petit Larousse, ni dans le Dictionnaire universel de chez Hachette/EDICEF, qui vise pourtant à intégrer dans sa nomenclature des mots pris dans les mondes francophones. Il ne figure donc dans aucun des dictionnaires français courants dans lesquels un lecteur de Chamoiseau non spécialiste de créole et de linguistique pourrait vouloir chercher le sens d'un mot inconnu de lui. Si ce lecteur dispose d'ouvrages comportant des éléments lexicographiques antillais (ex. Dictionnaire créole / français de Ludwig, Montbrand, Poullet, et Telchid), il trouvera effectivement la mention de ce terme (orthographié tantôt "chabin/chabine", tantôt "chaben/chabin"), mais simplement explicité par rapport au type physique qu'il évoque.
Le dictionnaire de Poullet traduit CHABEN par "chabin" (entre guillemets), par le terme de français régional, tout aussi inconnu du métropolitain, et l'illustre par un exemple créole : "On nèg wouj a chivé jón" : exemple pour le moins curieux et définition contestable puisque précisément le "chabin" peut être "rouge" ou "jaune" (cf. ci-dessous) et qu'il est pour le moins maladroit de faire figurer les deux termes dans une définition pour lors ambiguë, en outre très mal traduite puisqu'on donne comme traduction "Un nègre à la peau claire et aux cheveux crépus blonds" (nèg ne peut être traduit par "nègre" en français, encore moins "nèg wouj", et bien sûr la phrase créole au départ ne comporte ni la mention de "peau claire" ni de "cheveux crépus") : tout au plus peut-on dire que l'on a donc deux exemples (contestables) d'emplois du mot "chabin", dont d'ailleurs la source n'est pas indiquée (il s'agit probablement d'exemples donnés par les auteurs du dictionnaire, sans réflexion préalable sur les termes de "couleur"). Précisons encore que le "nègre rouge" ou la "négresse rouge" correspond à un type africain particulier (pas très foncé), mais en général non métissé (le métissage donnant des mulâtres, plus ou moins foncés, mais issus de parents eux-mêmes métissés, au-delà de la toute première génération !).
Dictionnaire du créole de Marie-Galante de M. Barbotin, on a les définitions suivantes : Chaben - 1 Individu de race noire à la peau bien claire, n'ayant pas les cheveux ou les yeux noirs. 2. Surnom souvent donné à un garçon à la peau claire.
Chabin - Chabine, métisse de noir et blanc. Chabin doré : femme métissée de noir et de blanc ; aux cheveux roux et parfois aux yeux verts.Ne nous laissons pas abuser toutefois : la définition ici proposée de "chaben" est curieusement une définition en grande partie négative "n'ayant pas les cheveux ou les yeux noirs" ! On peut en outre s'interroger sur ce que veut dire "de race noire à la peau bien claire" ? Le chabin de fait a souvent la peau tout à fait "blanche", mais des traits négroïdes (lèvres épaisses, nez épaté, prognatisme...). Quant à l'explication différente pour la femme elle peut induire en erreur : pourquoi, elle, est elle déclarée "métisse" alors que le chaben est "de race noire" ?
De toutes façons, même si l'on ajoutait des éléments descriptifs plus précis, non politiquement correct comme l'indication de "traits négroïdes", on serait encore bien loin de la réalité des chabins et chabines aux Antilles, qu'une première recherche dans les oeuvres de Chamoiseau faisait bien apparaître comme personnages tout à fait particuliers.
On précisera tout de suite que résument assez bien les particularités des chabins les usages contextuels les plus fréquents : on parle volontiers de "mauvais chabin" , ou de "chabin sur" (acide) manifestant par là l'aigreur ou l'agressivité du chabin mâle. La chabine, souvent qualifiée de "tit-chabine" est particulièrement appréciée au plan sexuel, mais est aussi considérée comme inquiétante car comme on l'explicite parfois "i ka mòdé zòrèy" (elle mord les oreilles). On retrouve les "pouvoirs" un peu inquiétants de ces êtres ni blancs ni noirs, mais qu'il faut situer plutôt du côté du blanc, qui ont pris des traits d'un côté et de l'autre, non pas pour obtenir une coloration intermédiaire comme chez les classiques métis, mais gardant des traits du noir et des traits du blanc, en quelque sorte juxtaposés : cheveux crépus, mais blonds ou roux, peau claire, mais traits du visage d'un noir, etc. Dans la littérature, les références aux chabins ou chabines n'ignorent jamais ces significations fondamentales et quand un auteur place quelque part un chabin ou une chabine, on doit comprendre que le personnage est un personnage inquiétant, doué de pouvoirs étranges, lui-même perturbé par l'arrivée de la nuit, temps de tous les quimbois et des mofwazé (personnes qui se sont métamorphosées, généralement en chien). Sa sensibilité un peu maladive le prédispose aux angoisses et aux actions incontrôlées. On lui attribue classiquement des rôles de "méchants".
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