Traduction donnée par Marie-Christine Hazaël-Massieux

La traduction que nous donnons ici est assez près du texte, malgré quelques libertés indispensables et toujours motivées par le désir de rendre le caractère poétique du texte : ainsi au pluriel "boeufs" dans la 3e strophe, nous préférons le singulier pour des raisons d'assonances et d'allitérations : dans la forme pluriel, la fermeture de la voyelle et l'absence de "f" prononcé aurait rompu le rythme obtenu dans ces strophes caractérisées par leurs répétitions. Cette traduction vise à rendre toute la richesse poétique des images et des allusions du poème. Celui-ci, qui est un éloge à la femme antillaise, commence dans la première strophe à présenter la femme telle qu'elle est pour séduire l'homme : légère, envoûtante, surprenante... et l'homme se laisse "accrocher". La deuxième strophe montre la femme qui s'efforce de retenir l'homme dont on sent déjà qu'il se dérobe, sans doute séduit par d'autres bras : la femme se fait sorcière et dévorante ; elle apparaît cette fois-ci comme dangereuse, et tandis qu'elle est prête à recourir à tous les moyens pour retenir celui qu'elle aime, celui-ci se dérobe effrayé. La troisième strophe montre la femme délaissée, qui est comme condamnée à chercher et subir d'autres hommes ("voici la monnaie, mam'zelle") ; elle n'est d'ailleurs plus si séduisante, mais elle est présentée surtout comme celle qui trime, qui souffre... Le refrain régulier rappelle toujours cette force de la femme qui résiste contre vents et marées. Et commence alors le grand poème de l'histoire de la femme : en remontant à la nuit des temps, à Eve et au serpent de la Genèse, à la souffrance de l'enfantement, l'auteur nous montre la solidité de cette femme qui accouche, qui donne la vie à l'homme, ce "maltraiteur" de femmes" : force et résistance, solidité et permanence, c'est à travers tout ce qui les évoque que la femme est dépeinte, elle qui demeure toujours comme les "trois roches" du foyer.

Femmes-fleurs qui rendent les hommes colibris
Femmes-flèches qui piquent l'homme au milieu du coeur
Femmes-fils qui enveloppent les hommes dans leurs cils
Femmes-fiel qui fendent le foie des hommes d'un coup de langue
Femmes-folles qui pendent le coeur des hommes à leurs branches

Que les femmes sont fleurs
Que les femmes sont flèches
Que les femmes sont fils
Que les femmes sont fiel
Que les femmes sont folles

Mais que fortes sont les femmes
Quand elles s'efforcent d'être des femmes fortes !

Femmes-cannes qui adoucissent les hommes avec leurs yeux doux
Femmes-charmes qui aveuglent les hommes avec leurs fards
Femmes-rames qui tirent les hommes dans leurs eaux
Femmes-lames qui noient les hommes dans leurs larmes
Femmes-flammes qui brûlent les hommes dans leurs bras

Que les femmes sont cannes
Que les femmes sont charmes
Que les femmes sont rames
Que les femmes sont lames
Que les femmes sont flammes

Mais que fortes sont les femmes
Quand elles s'efforcent d'être des femmes fortes !

Femmes-vides qui deviennent folles pour une vétille
Femme-trèfles qui perdent la carte pour un roi de coeur
Femmes-fesses - enveloppé c'est pesé - voici la monnaie, mam'zelle !
Femmes-boeuf qui peinent fort sous le joug des hommes
Femmes-faibles qui traînent les chaînes sur le chemin

Que les femmes sont vides
Que les femmes sont trèfles
Que les femmes sont fesses
Que les femmes sont boeuf
Que les femmes sont faibles

Mais que fortes sont les femmes
Quand elles s'efforcent d'être des femmes fortes !

Au commencement
Avant que ne fussent souffrances et délivrances
Ton nom courait déjà le vent
Avec les lucioles d'éternité.
Le soleil clignait sous ton regard
Et tu éclairais la nuit noire.
Le serpent de vie entra dans ton corps

Et avec lui le venin de la connaissance
T'enlevant ainsi ton innocence.
Neuf pleines lunes passèrent sur ton ventre.
Tu connus le fardeau avant que le fardeau ne fût.
La lumière éclaira tes genoux.
Tu mis l'homme au monde
Nourrissant un pays
Par ta chaleur
Par ta sueur
Par ta chair

Qui oserait dire du mal de la femme
Ici-bas aujourd'hui ?
Quel homme parlerait de la femme
Sans prendre le temps de tourner sa langue
Sept cents fois dans sa bouche ?
Quelle femme ne se saurait femme
Avant ragots et commérages
Avant que les paroles d'une rivale folle
Ne sèment aigreurs et convulsions
Sous le toit des maisons ?
Aïe ! Femme
Si je dis ton nom
Mes paroles ne sont que fumée
Comme celle qui sourd de sous ton chaudron.
La fumée ira son chemin
Ton chaudron se fêlera
Toi, les trois roches du foyer, tu seras toujours là

Charpente du navire de la vie
Source où s'abreuve l'avenir de l'homme.

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